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Éducation

Peurs, stress, sentiment de solitude, anxiété, comment faire au parascolaire?

Si, avant l’âge de 6 ans, les enfants présenteraient davantage de peurs associées à l’intégrité physique, en grandissant, ce sont les enjeux d’intégration sociale qui prennent plus d’importance.
Surprotéger l’enfant l’empêche d’exercer sa capacité à faire face à ce qu’il craint. Le laisser libre sans lui donner un cadre clair et des repères peut augmenter son anxiété. Comment dès lors, s’y prendre en collectivité ?

Rappelons que le stress est une réponse de l’organisme face à une situation incontrôlée, imprévisible, nouvelle qui représente une menace à l’égo [1]. L’inquiétude ne prend pas une dimension trop forte et ne persiste pas lorsque l’élément déclencheur disparaît. L’anxiété est une émotion de peur liée à l’anticipation d’un événement négatif qui pourrait se produire dans le futur. Un épisode anxieux peut se déclarer lors d’un cumul de stress. Les origines de l’anxiété sont multiples et ses formes sont diverses.

À une époque où l’on demande toujours plus d’autonomie à nos enfants, Sébastien Dupond [2] nous invite à réfléchir à la question complexe du sentiment de solitude. Notre organisation sociale qui soutient des valeurs du libéralisme (liberté d’entreprendre) de la démocratie (liberté de choix et poids égal de la parole de chacun) et de l’égalitarisme (chacun vaut autant que son prochain) demande à l’individu d’être lui-même en ne se référant qu’à lui-même, c’est-à-dire de vivre sa solitude comme condition de son existence. La solitude est devenue un indicateur de la liberté mais aussi la pathologie la plus fréquente de l’être humain. Les dépressions, les suicides et les errances des déracinés sociaux en sont les marques les plus douloureuses.

Depuis quelques années, la société, l’école et les parents éprouvent de plus en plus de difficultés à remplir la première mission de l’éducation, à savoir inscrire le sujet dans le lien social, l’amener à se penser un parmi d’autres [3]. Être capable de faire ses propres choix, d’avoir sa propre vie psychique tout en sachant profiter des idées, de l’aide et de la présence des autres sans se sentir envahi ne va pas de soi.

Par rapport à cette autonomie (qui consiste à décider et à choisir ce que l’on veut faire, et qui diffère de l’indépendance définie comme la possibilité de faire quelque chose sans aide), l’enfant peut être partagé entre deux désirs contradictoires : d’une part, s’affirmer et exprimer ses préférences et, d’autre part, avoir envie de se soumettre aux attentes de ses parents et de ses éducateurs et éducatrices. L’autonomie fait peur, il aura donc besoin de réassurance et d’un droit élargi à l’erreur ! Le stress est important à cette période [4].

L’enfant apprend de mieux en mieux et de plus en plus tôt cette nécessité du lien social contemporain mais en même temps son existence dépend de la reconnaissance que lui témoignent ses proches. Il doit à la fois conquérir son statut d’individu unique et être capable de se positionner dans un rapport d’égalité avec ses semblables. Cette autonomisation précoce peut fragiliser et angoisser certains enfants qui souffrent alors de solitude et se sentent désarmés face aux épreuves qu’ils ont à affronter.

Les psychologues cognitivistes ont précisé les représentations auxquelles était associé le sentiment de solitude selon les âges.

Entre 5 et 6 ans :
– n’avoir personne à qui parler ou personne comme ami.

Entre 6 et 10 ans :
– être en conflit avec un ami ou une amie ; être rejeté, ignoré, exclu, moqué ou pointé du doigt dans un groupe ;
– n’avoir personne vers qui se tourner pour demander de l’aide ;
– être traité de façon injuste par des ami·es.

Entre 10 et 12 ans :
– être trahi·e dans sa confiance par un·e proche ; n’avoir personne à qui se confier ;
– se sentir à part, différent ;
– ne se sentir appartenir à rien ni à personne ;
– ressentir le manque d’un groupe auquel s’identifier ;
– se sentir dénigré, inexistant aux yeux des autres, sans importance ;
– se sentir impropre à être aimé.

Le sentiment d’appartenance, dimension fondamentale de la constitution de l’enfant, agissant comme liant des sociétés, apparaît comme l’un des contraires les plus directs du sentiment de solitude. Certains enfants peuvent aussi se sentir seuls tout en étant entourés d’amis s’ils éprouvent le manque d’un « meilleur ami ou d’une meilleure amie» qui leur ferait se sentir unique. Chez l’enfant de la latence (5-12 ans), les fantaisies, la rêverie éveillée, les fantasmes d’ordre mégalomaniaque (super héros, sauveur, sauveuse, vedette, champion·ne, etc.) participent à son ouverture aux apprentissages, à la culture et à l’imaginaire d’autrui et lui permettent de supporter la solitude effective. Secrets et mensonges apparaissent à cet âge comme des moyens d’apprivoiser cette nouvelle solitude de la pensée et de faire le deuil de la pensée magique de la petite enfance. L’ennui, si dévalorisé à notre époque et activement combattu, restitue au sujet un espace de solitude, un temps de retrait, de vide nécessaire pour se désemplir du trop-plein d’activités, un moment de régénération indispensable pour se remettre en question et se retrouver seul face à soi-même et à son avenir. Et Sébastien Dupont de rappeler qu’à cet âge, l’enfant cherche davantage à être reconnu comme un sujet pensant et questionnant le monde. Face à lui, l’adulte est celui qui est supposé savoir, comprendre, entendre et proposer le dialogue, la discussion et le questionnement car pour penser seul, l’enfant doit se sentir légitime en tant qu’être pensant et supporter de se séparer psychologiquement et affectivement d’autrui.

Hubert Montagner [5] propose que les lieux d’accueil parascolaire, qu’il nomme les tiers-temps (temps passés hors du milieu familial et de l’école) soient conçus pour préserver ou restaurer les trois racines majeures de la sécurité affective en assurant les conditions suivantes:

– La possibilité, pour chaque enfant, de développer dans le lieu d’accueil des interactions avec au moins une personne « figure d’attachement sécure », à qui il peut révéler sans retenue ses émotions dans une communication apaisée, rassurante, une personne qui ne le juge pas et ne le renvoie pas à ses difficultés mais démine ses peurs et ses blocages, l’aidant à éponger et dépasser son inquiétude ou son anxiété. Ce lieu « entre-deux » offre un temps où on peut se poser, être ensemble, sans avoir forcément quelque chose à faire, temps propice pour l’enfant qui désire se livrer et rencontrer un adulte qui a développé une éthique professionnelle pour traiter ces questions-là, qui sache écouter l’enfant, ses doutes, ses angoisses et ses peurs .

– L’aménagement de l’espace et du temps, accordé au rythme biopsychologique de l’enfant qui, s’il est fatigué, lui permet de s’isoler, seul ou avec d’autres, protégé du bruit. La possibilité de choisir une activité calme dans une ambiance non anxiogène, en dehors des allées-venues et des conflits avec l’autorisation des auto-balancements (hamac, balançoires) qui apaisent. Une fois reposé, l’enfant choisirait une activité élevant son niveau de vigilance. Montagner estime que le temps après l’école ne doit pas être un prolongement du temps scolaire mais un temps « sujet », dans des activités librement choisies, y compris se tenir à l’écart et ne rien faire. Un temps d’interactions rassurantes, accordées autour de lectures partagées, de contes racontés, de centres d’intérêts partagés, d’ateliers d’expression libre, de jeux récréatifs, procurant du plaisir et nourrissant l’envie de comprendre et d’apprendre dans d’autres situations que celle des apprentissages formels et explicites qui renvoient au temps scolaire. Un temps de défoulement et de décompression.

– L’appropriation sécurisée et conquérante de l’environnement lors d’activités ludiques et/ou sportives qui nécessitent beaucoup d’énergie notamment en fin d’après-midi, quand le métabolisme et la force musculaire sont à un niveau élevé.

Le groupe peut permettre aux enfants d’éprouver des sentiments de sécurité, de reconnaissance et d’autonomie. Il peut être un lieu de découvertes, notamment sociales, et d’apprentissages très riches mais aussi devenir le lieu de l’arbitraire, du bizutage, de la domination des plus faibles par les plus forts [6].

Rappelons avec Laurent Ott [7] qu’un groupe, pour qu’il devienne éducatif, doit amener les enfants à prendre conscience du groupe et le groupe à prendre conscience de lui-même. Sinon il ne sera qu’un rassemblement d’enfants, un espace de frottement à l’autre, voire de violence ou de sentiment de perte ou d’abandon. Une telle expérience brute du groupe produira des tendances individualistes et le rejet du collectif.

Nemet-Pier, psychologue et Devillers, journaliste [8], évoquent aussi l’omniprésence d’images non triées qui développent chez certains des sentiments de stress et d’anxiété supplémentaires. Les peurs sociales, l’anxiété de performance, l’écoanxiété et celle liée aux nouvelles technologies hantent aussi les enfants d’aujourd’hui.

Mais s’il faut respecter les peurs de l’enfant et les accueillir avant de vouloir rassurer, selon Philippe Meirieu [9], il ne faut pas les encourager. La question est plutôt de nourrir les enfants de formes symboliques, de personnages extraordinaires, de situations fantastiques dans lesquelles ils puissent puiser pour reconnaître et exprimer leurs propres peurs. Raconter des histoires de monstres, de mort, d’enfant abandonné ou mal aimé pour qu’ils y trouvent l’écho de leurs peurs intimes, qu’ils ne sauraient, ne voudraient ou n’oseraient avouer à quiconque. Ces histoires qui leur parlent d’eux et d’elles sans les violer dans leur intimité.

Mais la peur n’est pas réservée aux enfants. Les adultes et les professionnel·les l’éprouvent aussi. Bernard Benattar [10] philosophe du travail et psychosociologue analyse nos peurs d’adultes face à toute une génération de jeunes qui nous aurait échappée, qui n’aurait plus les mêmes valeurs, les mêmes idéaux que nous : l’enfant de l’iPod (du smartphone actuellement) de la pub, individualiste, conformiste. En avoir peur, c’est probablement ne pas faire confiance à ces enfants qui s’affirment si différents. Il s’agirait pourtant de leur épargner non pas l’interdit, les limites et le cadre, mais cette peur du plus fort qui rend plus faible et qui engendre des adultes soumis et irresponsables.

Nous avons encore à inventer un concept et une pratique de l’autorité partagée afin qu’ils soient pleinement sujets, contributeurs d’une société démocratique, uniques chacun à leur manière. Notre peur ne serait plus intuition du danger (l’enfant sera délinquant, etc.) mais comme nécessaire au renoncement, au pouvoir « sur », une peur assez stimulante pour nous aider à construire une coresponsabilité et une puissance d’agir commune.

 

[1] Leroux, S. (2022). L’anxiété chez l’enfant et l’adolescent. CHU Sainte-Justine

[2] Dupond, S. (2010), Seul parmi les autres : le sentiment de solitude chez l’enfant et l’adolescent. Erès.

[3] Gauchet (2007)

[4] Ferland, F. (2014). Bien grandir : le développement des 6 à 12 ans. CHU Sainte-Justine.

[5] Montagner, H. (2011). Temps de l’enfant et structures d’accueil. In Ott, L &  Murcier, N. Le Mythe de l’Enfant-roi. Philippe Duval.  

[6] Camus, P. & Marchal, L. (2007). Accueillir les enfants de 3 à 6 ans : viser la qualité. ONE

[7] Ott L. (2009). La discipline, outil de création du groupe et des personnes. In : Le Journal des Professionnels de l’Enfance, 61, 48-49. 

[8] Nemet-Pier, L. & F. Devillers (2009). Peur du noir, monstres et cauchemars. Albin Michel.

[9] L’école des parents n° 601/2013.  Dossier « Des peurs pour grandir ».

[10] Benattar, B. (2009). Peurs de nos enfants ? In : Dialogue,184, 27-31