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Développement de l’enfant

Les émotions morales chez l’enfant

Quand l’enfant est à l’UAPE ou à l’APEMS, dégagé de la pression scolaire et des enjeux affectifs liés à sa famille, il est important qu’il ait la possibilité d’y vivre dans de bonnes conditions, en lien avec les autres. Dans ce contexte, les professionnel·le·s sont les garants, entre autres, de sa sécurité psychique. Du ressenti des émotions au développement de l’empathie, petit tour de la question avant toute action!

Précisons tout d’abord quelques termes avec Antonio Damasio [1] :

–       L’émotion correspond à la courte durée d’une réaction corporelle agréable ou désagréable. Elle est brève, se manifeste physiologiquement et est publique, visible par l’expression du visage par exemple.

–       Le sentiment renvoie à la prise de conscience de l’émotion et de l’état affectif de l’individu. Il peut durer et n’est plus directement associé à une réaction corporelle. Il est privé car pas directement visible aux yeux des autres.

–       L’humeur est un état affectif qui dure longtemps, comme un arrière-plan qui colore affectivement le vécu de la personne.

Une grande partie des recherches actuelles portant sur le développement affectif de l’enfant s’intéressent aux émotions primaires (innées ou universelles, résultats de la sélection des émotions utiles à la survie) comme la peur, la joie, la tristesse, la colère, le dégoût, alors que les émotions secondaires ou morales (résultats de l’éducation et du développement de l’enfant) comme la fierté, la culpabilité, la honte ou la gratitude, font l’objet de peu d’attention. C’est le constat de trois chercheur·e·s [2] qui nous livrent leur connaissance approfondie de ce sujet.

Les émotions morales ou sociales regroupent les émotions de souffrance d’autrui (ex. : empathie), de louange d’autrui (ex. : gratitude) et les émotions auto-conscientes (ex. : fierté, honte, culpabilité, embarras). Elles font appel à la représentation de l’état mental d’une autre personne (ex. : leur opinion ou leur sentiment). Par exemple, pour se sentir embarrassée, une personne doit croire qu’une autre pense que son action est stupide. A l’inverse, les émotions primaires sont des réactions affectives immédiates qui ne nécessitent pas l’appréhension des états mentaux d’autrui .

De plus, les émotions morales font appel à la capacité de prise en compte des normes sociales et des implications de ses actions sur les autres. Elles sont donc complexes. La psychologie naïve de l’enfant de 5 à 7 ans est encore très limitée dans sa prise en considération de ces émotions [3].

Au cours de leur développement, les enfants deviennent de plus en plus conscients du fait que les autres (d’abord leurs parents, puis plus tard d’autres personnes) ont des attentes en ce qui concerne leur comportement et les jugent à partir d’un point de vue différent du leur. Alors que dès cinq ans les enfants connaissent déjà les situations qui provoquent la colère, c’est vers l’âge de sept ans qu’ils deviennent capables de citer des situations susceptibles de déclencher des émotions morales telles que la fierté ou la culpabilité.

Des chercheurs ont évalué les conceptions de culpabilité et de honte chez des enfants de sept-neuf ans et de dix-douze ans : ils ont observé que les plus jeunes faisaient principalement référence aux réactions des autres, alors que les enfants plus âgés faisaient référence à leurs propres normes. C’est également vers l’âge de dix ans, en lien avec le développement des capacités d’abstraction et de réflexion sur les intentions de l’autre, que les enfants vont développer leur capacité à ressentir et à comprendre la gratitude.

Les débuts des émotions morales seraient déjà observables avant l’âge de trois ans, mais leur compréhension se ferait plus tardivement, au milieu de l’enfance, et continuerait de se développer jusqu’au début de l’adolescence. La honte, la fierté, ou encore la gratitude sont des émotions dont les conséquences sont différentes.

  • La honte est caractérisée par la préoccupation du jugement de l’autre sur soi, la prise de conscience de paraître devant un public d’une manière indésirable. Elle fait suite à l’échec d’agir en accord avec ses valeurs personnelles ou avec celles de l’autre et implique une évaluation négative du soi. La honte s’accompagne d’un sentiment d’amoindrissement (se sentir petit), d’inutilité et d’impuissance et motive l’envie de se cacher ou de disparaître. Elle est source de comportements de prise de distance, de séparation et de défense. On observe qu’il existe un lien entre la honte et la colère : à tout âge, les personnes plus enclines à la honte sont également plus enclines à des sentiments de colère et d’hostilité et ont tendance à gérer leur colère d’une façon agressive et non constructive.Trop de honte expose à des symptômes psychologiques tels que la dépression, l’anxiété, le stress post-traumatique, les troubles alimentaires et l’agressivité.
  • La culpabilité survient lorsque l’on transgresse une norme morale ou lorsque notre comportement provoque la douleur, la perte ou la détresse chez l’autre. Elle est provoquée par la compréhension des conséquences négatives de son propre comportement, parce qu’il a causé du tort à quelqu’un qui souffre désormais. Elle est moins douloureuse et moins dévastatrice que la honte, car, contrairement à la honte, elle implique une évaluation négative d’un comportement spécifique et non de soi. La culpabilité s’accompagne d’un sentiment de tension, de remords, de regret, et motive des actions de réparation (se confesser, s’excuser, effacer le mal qui a été fait). Elle oriente l’individu dans une direction constructive et proactive : en l’amenant à apaiser les victimes et à réparer les relations, elle favorise les comportements qui améliorent les relations interpersonnelles . De plus, la culpabilité entretient un lien particulier avec l’empathie. Par exemple, des études réalisées chez des enfants, des étudiants et des adultes ont montré que les individus enclins à la culpabilité étaient généralement des personnes empathiques, alors que les individus enclins à la honte montraient des capacités empathiques appauvries . Elle peut devenir néfaste quand elle est ressentie de façon extrême, soit de manière insuffisante, soit de manière excessive. Peu de culpabilité est associé à des problèmes de conduite (agression, hostilité…), et trop de culpabilité peut conduire à la dépression.
  • L’empathie découlant de la compréhension de l’état émotionnel d’une autre personne, fait éprouver à un individu une émotion semblable à celle qu’il suppose chez l’autre personne. L’empathie motive des comportements prosociaux et altruistes, des actions qui profitent à une autre personne sans qu’aucune récompense soit attendue. Les enfants dont les parents recourent souvent à la menace, à la force physique (fessée ou renvoi dans la chambre), à la privation (de jouets ou de l’ordinateur) ou encore au retrait d’affection (refus de leur parler, ignorance) développent peu de comportements d’empathie. Ceux dont les parents leur expliquent progressivement les conséquences de leur comportement sur les autres auront de l’empathie pour autrui.
  • La fierté est une émotion générée par la compréhension que l’on est responsable d’un résultat socialement valorisé ou que l’on est une personne socialement valorisée. Les personnes qui ressentent de la fierté ont des niveaux moins élevés de phobie sociale, d’agressivité et de sensibilité au rejet, et des niveaux plus élevés de soutien social, de satisfaction de la relation et d’ajustement dans les relations à deux.
  • La gratitude est l’appréciation vécue par les individus quand quelqu’un fait quelque chose de gentil ou d’utile pour eux. Les personnes reconnaissantes sont souvent motivées pour avoir des réponses prosociales envers leur bienfaiteur mais aussi vis-à-vis d’autres personnes qui ne sont pas impliquées dans l’acte de gratitude. La gratitude est liée à un large éventail de comportements sociaux adaptatifs tels que la générosité, la compassion et l’empathie.

Les émotions morales évoluent progressivement au cours du développement de l’enfant en l’aidant à faire face de façon optimale à de plus en plus de relations et d’interactions sociales. L’évolution des capacités cognitives et d’autocontrôle permet à l’enfant de réguler les expériences émotionnelles de manière toujours plus autonome et fine. Mais c’est dans l’interaction avec les autres humains que l’enfant apprend à réguler ses émotions et à se comporter dans les normes de sa culture, de sa société et de sa famille.

Pour Philippe Jeammet [4], les émotions s’imposent à nous, indépendamment de notre volonté. C’est notre capacité de réflexion et de prise de recul qui nous donne l’occasion de choisir ce que l’on va en faire.
La conscience que nous avons de nous-même nous donne une possibilité de liberté par rapport à nos contraintes émotionnelles.
Il est alors nécessaire d’accompagner les enfants en remplaçant les rapports d’autoritarisme par un autre mode de relation et par la recherche de buts communs.
Toute remarque négative qui porte sur l’enfant est à proscrire car elle produit des émotions très négatives telles que l’anxiété, la honte ou le désespoir. Dès qu’il est anxieux, l’être humain réagit et développe un besoin d’emprise, clé de voûte de la réponse à la peur. Les émotions fortes le mettent sous contrainte et « pour contrer le ressenti d’impuissance, il doit agir et retrouver la maitrise coûte que coûte » [5]. Cette maitrise se trouve dans les conduites de destruction qui redonnent un sentiment de force et de puissance. Parfois les émotions sont si violentes que la capacité réflexive n’opère plus. Il ne s’agit plus d’une simple tempête émotionnelle brusque, passagère, mais d’un dérèglement qui peut conduire à ce que la personne ne s’appartient plus.

Prendre en compte tous les désirs contradictoires qui caractérisent la dynamique des émotions et conjuguer les ressentis est un travail permanent.

Prenons l’enfant entre 6 et 12 ans que l’autonomie inquiète [6]. Il peut être partagé entre deux désirs contradictoires : affirmer et exprimer ses préférences d’une part et avoir envie de se soumettre aux attentes de ses éducateurs et éducatrices d’autre part. Il aura donc besoin de réassurance et d’un droit élargi à l’erreur car le stress est important à cette période. Francine Ferland fait remarquer que les enfants aiment jouer avec la peur dans un contexte où ils se sentent en sécurité. Les jeux de cache-cache, les déguisements en monstres ou en sorcières, personnages qu’ils craignaient quand ils étaient plus petits, sont des activités qui leur donnent un sentiment de puissance et de maitrise et leur apportent la certitude d’avoir grandi.
Face à cette inquiétude, les histoires imaginaires où le héros ou l’héroïne triomphent de manière éblouissante vont aussi les aider à supporter ce moment difficile [7].

Bien qu’il soit nécessaire d’offrir la possibilité à celles et ceux qui le désirent de pouvoir s’exprimer, le dévoilement émotionnel ne devrait jamais être une contrainte.

 

[1] Antonio Damasio cité par Evelyne Thommen (2010) dans son livre Les émotions chez l’enfant : le développement typique et atypique, Paris : Belin.
Cet ouvrage présente les recherches sur le développement de la régulation des émotions et de ses perturbations et les met en discussion.

[2] A. Theurel, A. Palama, E. Gentaz (2017), Le développement des émotions morales durant l’enfance, In : Médecine & Enfance, pp. 195-201. Disponible en ligne : https://www.unige.ch/fapse/sensori-moteur/files/9315/0634/4237/sept17_me_sc_cogn_emotions_final.pdf

[3] Thommen, E. (2010), Les émotions chez l’enfant : le développement typique et atypique, Paris : Belin

[4] Jeammet, P. (2017), Quand nos émotions nous rendent fous, Paris : O. Jacob, p. 15

[5] Idem p. 15.

[6] Ferland, F. (2014), Le développement de l’enfant au quotidien : de 6 à 12 ans, Québec : CHU Sainte-Justine

[7] Christine Arbisio (2007), L’enfant de la période de latence, Paris : Dunod