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Développement de l’enfant

Le jeu de l’enfant entre 4 et 12 ans. Jouer, un moteur pour la vie : comment le jeu développe la créativité et l’intelligence sociale de l’enfant

De Patrice Huerre
Les exigences de réussite et la pression sociale ont relégué le jeu à du superflu alors qu’il est bel et bien essentiel dans la construction de soi. Régulateur social permettant d’éviter l’affrontement, support à la transformation des émotions douloureuses en émotions supportables, le jeu est le berceau de l’envie et du plaisir de penser. L’enjeu est de taille et les lieux parascolaires ont leur partition à jouer !

Patrice Huerre, pédopsychiatre, rappelle qu’il n’y a pas d’âge limite pour jouer. Ne plus prendre du plaisir dans le jeu fait courir le risque de se couper des nouvelles générations, de ne pas supporter leur créativité et le désordre qu’elle occasionne. Pour se construire un « je », il faut du jeu avec l’extérieur et avec les autres. Il faut qu’il y ait eu, par le biais du jeu, cette mise à l’épreuve de soi dans les relations aux autres.

Les adultes font l’éloge du temps libre mais ne le supportent pas pour leurs enfants. Ils mettent en avant la réussite scolaire et n’aspirent qu’au repos et aux distractions. Les enfants sont pris dans ces multiples contradictions.

Le jeu dit « gratuit » est dévalorisé au profit du jeu dit « éducatif ». S’il ne peut pas jouer et est tout le temps stimulé ou sollicité, l’enfant n’est plus auteur et acteur de son apprentissage.

Qu’en est-il pour les 4-12 ans ?

De 4 à 6 ans, le besoin d’autonomie s’affirme. Les jeux impliquant des grands mouvements et des bousculades prennent place. C’est le début des jeux avec des règles. Les scènes de « papa maman » sont présentes, indices de la recherche et de l’éclairage autour de l’énigme de la conception d’un enfant.

Chez les 6 à 8 ans, l’esprit de compétition est marqué. Les jeux actifs qui offrent la possibilité de se valoriser par rapport aux autres font leur apparition. C’est l’entrée dans la période de latence, terme référé à la psychanalyse (lire l’article « Entre 6 et 12 ans…la latence !« ). Le désir d’apprendre est manifeste. Jeux à règles, constructions plus élaborées, activités impliquant réflexions et stratégies d’apprentissages de plus en plus complexes sont très appréciées. L’envie d’apprendre les règles du jeu social et de faire valoir ses capacités et ses compétences animent chaque enfant. Le sens de la justice est exacerbé. C’est l’époque des jeux à règle arbitraire (lire l’article « Pour que les enfants jouent : les jeux à règle arbitraire« , vite inventés, vite oubliés mais nécessaires !

Entre 8 et 10 ans, curiosité et envie d’apprendre se maintiennent mais un nouvel esprit de « bandes » composées de petits groupes de copains ou de copines se forment et se mesurent aux autres.

Vers 11-12 ans, les jeux deviennent plus complexes, les enfants sont capables d’accéder à un raisonnement plus abstrait et ne sont plus tributaires d’une règle concrète.

L’adolescent·e n’a pas la sécurité intérieure et la disponibilité psychique qui permettent de plaisanter tranquillement avec quelqu’un, de se livrer à des jeux gratuits qui demandent un minimum de souplesse. Tout est pris au premier degré.

A partir de l’adolescence, le plaisir de jouer opère un déplacement partiel du côté de la culture – cinéma, musique, art, danse, etc.- . Le jeu de l’enfant se transforme en un jeu de l’adulte dont les fonctions sont identiques : espérer, rêver, s’émouvoir, échanger, partager, explorer, comprendre.

Qu’est-ce qui est jeu ?

« Jouer ce n’est pas tendre vers un but précis mais s’ouvrir à l’inattendu »

Ce n’est qu’à la condition de se mettre dans une situation de liberté que l’on peut parler de jeu. Situation dans laquelle vont se créer des échanges, des pensées, des mouvements,  et sensations nouvelles que l’on va accueillir avec plaisir, sans volonté de maitrise ou d’anticipation raisonnée.

Le jeu est un mode de régulation et d’apprentissage de la vie en société et d’acquisition de compétences nécessaires à la vie future. Toutes les situations de groupe sont des terrains d’entrainement pour ménager son intérêt propre sans nuire à celui des autres, tout en découvrant le plaisir du partage. Pour y arriver, l’enfant doit acquérir un certain nombre de compétences relationnelles et de codes à respecter. Dans les jeux, les adultes peuvent observer les répartitions des rôles pris par les enfants. Si la distribution des rôles est toujours la même, que l’un·e des enfants semble s’enfermer dans un schéma -victime passive par ex. – l’adulte n’interviendra pas directement, ce qui pourrait laisser penser que l’enfant n’est pas capable de s’en sortir seul. Il pourra reparler de la situation après coup, pour vérifier ce qu’il en est de ce rôle, pour voir s’il pourrait imaginer se débrouiller ou agir autrement et l’aider à sortir d’une situation figée.

Le jeu est aussi une façon de soulager une tension, une sorte de trop plein difficilement canalisable. Qu’il soit sportif, physique ou cérébral, il est un médium transformant cette excitation intérieure en activités et créations évitant les risques de débordement.

En jouant, l’enfant peut endiguer ses angoisses qui sont dès lors localisées hors de lui. Certains jeux sont révélateurs de traumatismes subis, notamment les jeux un peu sadiques où l’enfant cherche à exorciser ce dont il a été victime. Par leur répétition, leur insistance, ces jeux témoignent d’une crainte et suscitent un certain malaise chez celles et ceux qui en sont témoins. Lorsqu’il est confronté à des situations brutales, innommables, le jeu, le dessin, les histoires donnent à l’enfant les moyens de se les figurer et parfois de se consoler.

On reproche souvent aux jeux vidéo d’isoler les enfants mais pour beaucoup, ils sont un véritable outil de socialisation et d’échanges qui alimentent les conversations. Ce n’est pas le jeu lui-même qui pose problème mais la régulation de son accès, la canalisation et la limitation de son usage. Aider l’enfant à verbaliser les émotions que provoquent ces jeux, lui apprendre comment se fabriquent les images et lui permettre ainsi d’aiguiser son sens critique sont une partie du travail de l’adulte.


Qu’est-ce qui n’est pas jeu ?

La tentation de jouer avec les limites, voire de tricher, de contourner les règles est fréquente chez le petit enfant de 3 à 6 ans et chez l’adolescent·e. En revanche, l’enfant de 6 à 12 ans peut être très sensible à l’injustice et à la tricherie. A cet âge, s’il transgresse les limites à tout propos et enfreint systématiquement les règles du jeu, l’adulte doit s’en préoccuper.

Sans une libre adhésion à une situation de jeu, relégué au rang de jouet, mis au service du jeu des autres, l’enfant est une victime et non un·e partenaire de jeu. L’augmentation du harcèlement témoigne de cette violence. Dès qu’il y a asymétrie ou abus de pouvoir, il n’y a plus de jeu possible !

A cet âge, le sérieux domine et la soif de conformité est grande. L’enfant va alors alterner les moments de jeu et les moments de non jeu. Les enfants réfractaires à toute activité demandant concentration et sérieux connaissent en général des difficultés par rapport au cadre, au respect des interdits et aux contraintes. Leur possibilité de se mettre en pause sont réduites, ce qui conduit à des problèmes de discipline plutôt qu’à une prise en compte de leurs difficultés. Ils semblent n’écouter qu’eux-mêmes, leur désir du moment, en proie à une agitation qui, « même si elle implique des jouets, des objets…n’a plus grand-chose à voir avec le jeu » p.99. L’agitation corporelle est la seule réponse pour décharger leur tension. Leurs comportements sont alimentés par de grandes inquiétudes intérieures.

D’autres sont dans une tentative de maitrise absolue d’eux-mêmes car « lâcher » est pour eux source d’angoisse. Toute ouverture est une menace de débordement. Le jeu est alors inquiétant. Se donner un moment de plaisir et de liberté représente un danger. Ils supportent mal les blagues de leurs camarades, acceptent de jouer à contrecoeur tout en restant très vigilants. Durant cette période de latence, ils sont plutôt valorisés car ils répondent idéalement aux attentes scolaires, leur sérieux est un atout et ils font peu parler d’eux. Mais arrivés à la puberté, période de changements intenses, ils ont du mal à jouer avec la nouvelle image de leur corps, avec le point de vue des autres, les pensées -sexuelles ou agressives – qui les traversent. Ils se renferment, s’isolent, n’ont de relations que conflictuelles.

Certains enfants ne jouent pas, ont l’air trop sérieux, n’ont plus de plaisir à jouer avec leur imaginaire, avec les autres, occupés par une tristesse, une représentation du monde trop pesante ou traversant des drames ou de profondes difficultés. Ces enfants indisponibles pour le jeu méritent d’être aidés.

Jouer est un droit fondamental. La participation des enfants à cette société en mutation dépend étroitement de leur capacité à jouer avec des représentations, des langues, des cultures différentes et des manières de concevoir la vie tout en y prenant du plaisir.

 

Huerre, P. (2021), Jouer, un moteur pour la vie : comment le jeu développe la créativité et l’intelligence sociale de l’enfant, Paris : Nathan