Chaque enfant, dans la collectivité, est confronté à deux questions majeures : est-ce que je peux être qui je suis et que me renvoie l’autre à propos de mes particularités, dont je prends progressivement conscience en grandissant ?
Cela demande de prendre en compte les réalités de la société actuelle composée d’une grande diversité de formes familiales – familles recomposées, monoparentales, homoparentales – mais aussi les spécificités des situations vécues par les enfants (situation de handicap, de précarité, enfants arrivant avec leurs parents réfugiés, etc.). Les habitudes sociales ou culturelles – habillement, alimentation, etc. – sont à considérer aussi. Le problème est quand ces particularités et ce qui en est dit excluent et rejettent l’enfant ou dressent les enfants les uns contre les autres. Or, « Tout enfant doit pouvoir faire l’expérience d’être important et d’appartenir à un groupe, de contribuer à la communauté avec ses connaissances et capacités, de vivre le fait de façonner la vie quotidienne de la structure avec ses idées et désirs, d’expérimenter que les règles y sont négociées avec les adultes et les autres enfants. » [1]
Un lieu inclusif [2] serait donc un lieu où chacun·e peut apprendre de l’autre et s’enrichir des apports de tous, où chaque enfant peut contribuer au groupe et participer activement, en fonction de ses compétences et de ses intérêts et prendre la parole sans être discriminé ou jugé comme non apte. [3]
Dans cette vision, tout enfant est un enfant avant tout, quelles que soient ses particularités. Cela se traduit pour lui de pouvoir explorer l’environnement, le matériel, d’être soutenu dans des relations constructives avec les autres enfants, de développer des relations chaleureuses avec d’autres enfants et d’autres adultes.
C’est pourquoi on parle plutôt de situation de handicap que de handicap ou de déficience. Si, par exemple, un enfant fréquentant un lieu d’accueil ne parle pas le français, cette caractéristique aura plus ou moins d’importance selon les aménagements mis en place pour y répondre. Si les activités sont réfléchies de telle manière que la communication orale entre les enfants n’est pas obligatoire, si les consignes sont expliquées par l’action – en montrant directement ce qu’il faut faire plutôt qu’en l’expliquant – cela rendra le lieu beaucoup plus accessible pour cet enfant. Selon la situation, selon les aménagements, un enfant sera dans une situation de handicap plus ou moins importante.
Ce dossier, qui peut être considéré comme le livret complémentaire au référentiel « Accueillir les enfants de 3 à 12 ans » [4] est divisé en deux chapitres. Le premier explique la philosophie, le cadre théorique et pratique du projet. Le deuxième cible les caractéristiques d’un lieu d’accueil inclusif. Arrêtons-nous sur ce dernier qui est structuré ainsi :
1. Élaborer et / ou ajuster son projet d’accueil en équipe
2. Donner de la visibilité et la lisibilité au projet d’accueil
3. Travailler ses représentations et ses ressentis
4. Renforcer les compétences de base des professionnel-le-s
5. Soigner l’accueil des familles dès les premiers contacts et tout au long de l’accueil
6. Sensibiliser les enfants à l’accueil de tous et au respect de la diversité
7. Travailler avec les partenaires, développer un réseau local
8. Évaluer les conditions d’accueil
Toutes les catégories sont importantes et développées. Mentionnons le travail incontournable, en équipe, autour des représentations et des ressentis de chacun face à l’accueil des enfants en situations de handicap, à l’aide de ces questions :
En quoi sommes-nous tous différents ? Qu’est-ce que chacun de nous peut apporter ? Mais aussi, que partageons-nous, qu’est- ce qui nous rassemble ? Pour quelles raisons nous investissons-nous dans ce métier ? Quel but commun poursuivons-nous ? Des échanges autour de ces questions peuvent permettre de dénouer des difficultés au sein d’une dynamique d’équipe.
En effet, tout ne repose pas sur des adaptations et des aménagements matériels et coûteux. Beaucoup de facteurs de réussite consistent à adapter ses postures professionnelles, imaginer, créer, construire les projets avec et à partir des idées des enfants.
Il n’est pas nécessaire de développer de nouvelles compétences pour prendre en charge la spécificité de l’enfant. Connaître toutes les formes de particularités n’est pas utile. En effet, les symptômes d’une déficience ou d’un trouble se manifestent différemment chez chaque enfant et varient selon le contexte.
Ce qui est nécessaire, ce n’est pas de savoir si un enfant a tel ou tel problème de développement dont on trouvera une série de symptômes plus effrayants les uns que les autres sur internet. Ce qui importe, c’est de savoir comment cet enfant se comporte, dialoguer avec lui pour savoir ce qu’il aime faire, ses intérêts, ce à quoi il faut être attentif, comment réagir lorsqu’il ne se sent pas bien, quelles conditions mettre en place pour qu’il prenne du plaisir dans les activités.
Associer tous les enfants du groupe à la réflexion sur le vivre ensemble est non seulement important pour leur permettre de comprendre ce qui se joue pour chacun mais surtout parce que les enfants eux-mêmes peuvent être producteurs d’idées pour résoudre des situations.
Il s’agit aussi d’encourager l’entraide et le soutien entre enfants, par la mise en place de systèmes de parrainage et de tutorat. Toutes ces initiatives demandent d’échanger avec les enfants sur le sens et sur la manière d’aider « sans faire à la place ». En effet, le risque existe pour l’enfant concerné de devenir objet de soin, de souci, de sollicitude, mais de n’être plus considéré en tant que sujet dans toutes ses potentialités. Ce risque de dépersonnalisation est présent dans tous les lieux de vie de l’enfant.
L’enjeu central est là : l’idée n’est pas de faire en sorte que les enfants se taisent ou de faire comme si on était tous pareils, mais sans stigmatiser, relever les différences, les rendre visibles, parler avec les enfants, les adultes de ces différences et montrer en quoi elles ne sont pas problématiques.
Cela nécessite que les adultes invitent les enfants à mettre des mots sur ce qui les traverse, à questionner les ressemblances et les différences de manière constructive. L’enfant a besoin de savoir qu’il est semblable à l’autre tout en étant unique. Les activités qui favorisent la mise en mots de ce qui nous rassemble (nos similitudes et nos différences) sont pertinentes et ont un impact sur la dynamique du groupe.
Le rejet à l’endroit d’un enfant en situation de handicap est un autre risque ; cela montre une difficulté vécue dans le groupe qui utilise un « bouc émissaire » pour se rassembler momentanément. Au début, le phénomène est largement inconscient de la part des enfants. Il y a souvent deux protagonistes et des spectateurs silencieux ou influencés par un leader. C’est une façon pour les enfants de mettre leurs propres particularités à distance, de faire porter à l’autre les difficultés, un peu comme si le fait d’exclure quelqu’un du groupe était une forme de protection pour ne pas être exclu soi-même. Cela met en avant des difficultés de dynamique de groupe et d’insécurité qui doivent être prises en compte par les adultes avec l’aide, l’implication et la participation des enfants. S’il s’agit de phénomènes de harcèlement [5], l’intervention sera différente.
Ces situations peuvent aussi être la conséquence d’un sentiment d’injustice vécu par les enfants. Par exemple, si des aménagements sont mis en place pour l’accueil d’un enfant et qu’ils ne sont pas discutés avec le groupe, celui-ci peut avoir l’impression qu’il y a un « traitement de faveur ». D’où l’intérêt de mettre des mots sur ce qu’on met en place et d’en expliquer le but « comment pouvons-nous, collectivement, faire en sorte que chacun se sente bien ? »
Impliquer les enfants dans ce genre de questionnement, c’est leur délivrer le message fort : « si vous aussi vous en avez besoin, vous pourrez compter sur la solidarité du groupe, sur les amis, sur la communauté ». [6]
Il se peut aussi qu’une équipe, pour différentes raisons, ne soit pas prête au moment d’une demande d’accueil. Elle aura alors à gérer au mieux ce refus et à réorienter les parents pour ne pas les laisser seuls face à cet obstacle. Elle aura à se questionner sur ce qu’elle met en œuvre pour la suite.
Le site internet de l’ONE, diffuseur de ce dossier pédagogique, propose des activités favorisant le développement du vivre ensemble dans un souci d’inclusivité. Les questions ci-dessous permettent de guider leur préparation :
· L’activité favorise-t-elle une compréhension de l’autre ?
· Est-ce que les enfants se connaissent mieux à la fin de l’activité ?
· L’activité favorise-t-elle des échanges constructifs entre les enfants ?
La richesse des réflexions et des pistes de travail développées par le collectif d’auteurs et autrices de ce support pédagogique ne manqueront pas d’enrichir les réunions d’équipe avant de passer aux actions.
« À une époque où le rejet de l’autre et le chacun pour soi risquent de nous guetter à chaque instant, il est essentiel que les professionnel·le·s se mobilisent pour montrer à toutes les familles qu’elles sont les bienvenues et faire en sorte qu’elles se sentent effectivement accueillies. » [7]
[1] Relier la diversité, Curriculum de Berlin (Rayna & al., 2009), cité dans Camus, P., Maréchal, F. (2017), Ensemble visons des lieux d’accueil plus inclusifs, Bruxelles : ONE, p. 18
[2] Notes de lecture sur : Vandenbroeck, M. (Réd.) (2010), L’inclusion des enfants ayant des besoins spécifiques, Gand : VBJK
[3] Camus, P., Maréchal, F. (2017), Ensemble visons des lieux d’accueil plus inclusifs, Bruxelles : ONE
[4] Camus, P., Marchal, L. (2007), Accueillir les enfants de 3 à 12 ans, viser la qualité: un référentiel psychopédagogique pour des milieux d’accueil de qualité, Bruxelles : ONE
[5] Etat de Vaud. Harcèlement-intimidation et violences entre élèves
[6] Camus, P., Marchal, L. (2007), Accueillir les enfants de 3 à 12 ans, viser la qualité: un référentiel psychopédagogique pour des milieux d’accueil de qualité, Bruxelles : ONE, p. 63
[7] Idem, p. 75