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Égalité en cour(s), transformer les espaces mais encore !

Il existe des cours de récréation ou des préaux « désertiques », utilisés par les élèves et les enfants des structures parascolaires. Les adultes ignorent ce qu’ils permettent ou empêchent - notamment en termes d’égalité de genre - alors qu’il existe des ressources et des moyens pour réfléchir et concevoir ces espaces extérieurs avec la participation des enfants qui en ont l’usage bien sûr !

C’est ce que l’équipe de Pousses Urbaines recommande suite aux ateliers organisés avec les enfants et les jeunes de trois quartiers lausannois : consulter les enfants et observer leurs comportements afin de comprendre comment ils pratiquent leur préau ainsi que les espaces publics de leur quartier.

Ces analyses permettent de mieux prendre en compte les réalités des enfants lorsqu’il s’agit de transformer ou d’adapter ces espaces. Tout projet commence par une démarche de participation qui mobilise et intègre «toutes les personnes concernées par un sujet donné. Encadrées par un processus précis, elle permet d’aboutir à des décisions partagées et/ou des actions communes» [1]. Elle vise à travailler sur trois plans : prendre part, recevoir une part (bénéficier) et apporter une part (contribuer). Le droit de participation est garanti par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (exprimer librement son opinion (art. 12) et être entendu sur toute question le concernant (art. 13) [2]. Il ravive le sentiment d’appartenance et renforce la cohésion sociale.

Il ressort de ces rencontres avec les enfants trois observations et des recommandations pour chacune d’elles :

  • Les enfants perçoivent le préau comme un espace scolaire avant tout, organisé par de nombreuses règles et choisissent d’autres endroits pour leurs loisirs. L’attractivité des lieux est liée aux infrastructures présentes, qui incite – ou non, selon la distance entre leur lieu de vie et l’école, à y revenir. En tant qu’espace public, la cour doit être pensée en complémentarité des autres équipements à proximité.
  • Les enfants ont démontré une bonne connaissance de leur préau et entretiennent un lien très privilégié avec ce dernier. Ils sont capables d’en nommer des sous-espaces et de déterminer avec précision les jeux qui y sont pratiqués. Ils sont sensibles à la question du partage de cet espace entre pairs (et particulièrement entre filles et garçons). Certains ont émis quelques réserves à l’idée d’ouvrir la cour à un autre public, soucieux que l’on s’approprie leur espace. Parmi les réticences formulées se trouvent la gestion des conflits d’usages et d’éventuelles incivilités ainsi que la maîtrise des déchets.
    Il faudrait alors rappeler aux autres utilisateurs et utilisatrices que les enfants et les jeunes en sont les principaux usagers en temps scolaire mais aussi en dehors de celui-ci. Et recommander de ne pas fumer ni de consommer de l’alcool dans ces espaces, ce qui pourrait contribuer à réduire les incivilités.
  • La multiplicité des règles et des encadrements ne permet pas aux enfants de savoir facilement ce qui est permis, quand, dans quel contexte et avec qui ou par qui (selon qu’ils sont à l’école ou à l’accueil parascolaire, les règles changent) [3].
    Il est important d’avoir le réflexe d’informer ce jeune public de tous les changements ou événements envisagés dans leur préau.

La question du genre est apparue comme un thème important pour les enfants. En parallèle de la démarche de Pousses Urbaines, le projet Interact, mené conjointement par la Ville de Lausanne et l’Université de Lausanne – intitulé Préaux en tous genres, s’est également intéressé aux réalités des préaux de la ville au prisme du genre.

Il en ressort notamment que les espaces extérieurs ne sont pas investis de la même manière par les enfants et les jeunes et sont structurés en 3 groupes :

  • Les espaces centraux, au centre du préau, visibles et audibles, utilisés par les enfants pour être vus et entendus par leurs pairs et aussi par les adultes. S’y exerce une domination symbolique et sociale de l’espace qui va de pair avec une domination par les sens : s’approprier l’espace par la présence des corps, des sons et de la vision. Ces lieux sont investis prioritairement par les garçons qui possèdent le plus de ressources sociales et culturelles.
  • Les espaces habitables avec des aménagements et des installations fixes (tables, bancs, arbres, jeux d’agilité, marches, etc.) qui créent des dynamiques et des interactions spécifiques entre les enfants avec des déplacements et une mobilité moins bruyante. Très appréciés par les enfants, ils leur permettent de s’asseoir, de discuter, d’être protégés d’activités auxquelles ils ne veulent ou ne peuvent pas participer. Ils sont principalement utilisés par les filles. Ils facilitent l’émergence d’imaginaires et de cultures enfantines.
  • Les espaces cachés, secrets, créés par les enfants entre eux et excluant les adultes (avec la question éthique qui se pose quand l’adulte aimerait observer ce qui s’y passe). Ils sont caractérisés par des dynamiques de proximité, des relations plus intimes entre les enfants et leur permettent d’échapper – temporairement – au regard et au contrôle de l’adulte et de s’isoler, seuls ou en groupe. C’est ici que les enfants peuvent devenir des acteurs et des actrices dans leur quotidien, se réapproprier l’espace (un arbuste devient une cabane par ex.) et les règles qu’ils installent. Lieux possibles d’apprentissage de la violence physique et sociale et du harcèlement.

Une étude citée par le projet Interact a, quant à elle, développé 5 recommandations pour aménager un préau plus égalitaire :

  • Offrir une diversité des espaces qui engendrera une diversité des activités, toujours préférable à un espace central éternellement occupé par le foot. La littérature montre que les préaux avec dix espaces distincts favorisent la mobilité des filles et des garçons, quels que soient leur âge.
  • Privilégier des installations qui encouragent les jeux non-compétitifs et les jeux sociaux comme les trampolines, les parcours d’obstacles, les espaces de danse et les installations de gymnastiques et de grimpe sur des surfaces stables et instables. Les Ils encouragent également le développement de l’enfant, la cohésion sociale et le sentiment d’appartenance, et permettent de réduire les événements d’intimidation ou de harcèlement.
  • Développer des espaces avec des matériaux naturels, de la végétation, des revêtements diversifiés.
    Les enfants y sont plus actifs et créatifs. Il peut s’agir de copeaux de bois, de souches, de roches, de petits monticules, de rondins, d’arbustes. Au contraire, l’asphalte ou les terrains de jeux traditionnels favorisent l’ennui, l’agressivité et les jeux compétitifs.
  • Offrir une diversité d’équipements de jeu et des caisses de jeu à disposition. Des cordes à sauter, balles, jeux de raquettes et craies permettant notamment aux filles de s’approprier l’espace et de le marquer. Avec la variation des activités, ces divers équipements contribuent à favoriser l’activité des filles et des garçons, quelles que soient les tranches d’âge et augmente la sociabilité entre enfants. L’intérêt principal de ces jeux est qu’ils conviennent mieux aux filles, sans défavoriser les garçons.
  • Permettre et favoriser l’utilisation de la musique
    La musique permet d’encourager certaines activités dans le préau et de créer une atmosphère agréable. Elle permet de réduire les perturbations externes des autres enfants et du bruit.

L’étude menée par Interact constate que réaménager les cours d’école ou les espaces extérieurs ne va pas suffire à changer les interactions qui créent les inégalités entre les filles et les garçons. En effet, les enfants et les jeunes ne sont pas détachés des effets de genre et les stéréotypes de genre sont présents dès leur plus jeune âge (2-3 ans). Ils les acquièrent, les transmettent et participent à organiser leurs relations en fonction. Ce sont ces effets de genre qu’il convient de changer. Il faut donc observer comment les enfants agissent et réagissent avec leurs pairs et avec leur environnement social pour voir ce qui s’y passe concrètement. L’origine sociale et culturelle de chacun·e a aussi à voir avec le genre et va créer des effets spécifiques. Ces problématiques existent déjà à l’échelle de la ville et de la société [4].

Les auteurs et autrices de ces études invitent les professionnel·les de l’éducation à prendre progressivement conscience de ces comportements, des stéréotypes qui les sous- tendent et à œuvrer à leur déconstruction au quotidien. Car les pratiques éducatives et pédagogiques en sont empruntes au quotidien ; elles sont reconnaissables dans la manière de gérer un groupe (école, garderie, APEMS), la manière de sanctionner différemment filles et garçons, d’être plus stricts avec les unes qu’avec les autres, de laisser plus de temps de parole à certains vis-à-vis de certaines, de faire des remarques et adresser des qualificatifs différents (la beauté, la propreté, l’ordre et la forme des idées pour les filles – la force, le courage ou le fond des idées pour les garçons) ou encore d’ encourager l’autonomie pour certaines et l’appropriation de l’espace physique et sonore pour certains. Ce sont des pratiques que l’on observe partout, et personne n’y échappe [5].

Accompagner la découverte des espaces et des activités peut se faire de différentes manières et une intervention est nécessaire pour dialoguer avec les enfants au moindre signe de remarque ou de discrimination de genre, en partant de leurs propres activités et de leurs pratiques afin de formuler et proposer des alternatives [6].

 

[1] Ville de Lausanne (2023), Le participatif, un guide pour accompagner vos démarches participatives
Ce guide aide à se poser les bonnes questions de départ et à mettre en œuvre des démarches participatives les plus inclusives possibles. Il a aussi pour but de créer un référentiel commun du terme « participatif ». Certains contenus de ce guide concernent tout particulièrement des démarches adaptées aux enfants et aux jeunes, leur donnant une place et valorisant leurs compétences d’aujourd’hui dans d’autres domaines que ceux auxquels on les associe habituellement (cour d’école, place de jeux, terrains de sport, etc.)

Il est une ressource pour les administrations publiques qui souhaitent intégrer la population à leurs projets.

[2] Elle est aussi une exigence légale en matière d’aménagement du territoire au niveau fédéral (LAT art. 4) et cantonal vaudois (LATC art. 2, 5 et 6). Les communes vaudoises doivent aussi favoriser des expériences participatives pour les enfants et les jeunes domiciliés ou résident sur leur territoire (Loi vaudoise sur le soutien aux activités de la jeunesse (art. 11).

[3] L’équipe de Pousses Urbaines a observé un exemple d’utilisation transversale : les bacs de cultures, présents dans certains établissements scolaires, sont entretenus conjointement par les élèves et les services de la Ville, mais aussi par les habitantes et habitants du quartier, qui prennent le relais pendant les vacances scolaires.

[4] Ville de Lausanne,  Unil (2023), Préaux en tous genres : Observations et considérations générales : Pistes de réflexion et d’action

[5] Idem

[6] Chollet, M. (2023), Préaux en tous genres : Le jeu à l’épreuve du genre, vraiment enfantin ?, Ville de Lausanne ; Unil

 

Illustration : L’animation vue par M. Cambon, In : Journal de l’Animation,  2022, n° 232, p. 6