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Politique et société

Vivre ensemble, faire ensemble, pour quoi ? : des espaces temps à co-construire avec les enfants pour survivre en groupe

L’expression « vivre ensemble » est dans toutes les bouches ou presque. Le « vivre ensemble » est même devenu un nom commun. Selon la définition qu’on lui donne, il va pourtant recouvrir différents types de relations sociales, d’une juxtaposition subie, dans l’indifférence des uns envers les autres à la construction réfléchie de collectifs fondés sur la responsabilité assumée de chaque individu.

Laurent Bachler [1] distingue trois manières de vivre ensemble :

  • La première se résume à être à côté des autres, à les supporter avec la politesse qui permet de tolérer les différences mais sans vraiment nous lier à lui. Cette courtoisie empreinte de civilités nous permet d’éviter les conflits, d’économiser notre énergie et ne nous engage à rien. Elle convient parfaitement à l’individualiste. Il n’en reste pas moins que le vivre ensemble commence par l’apprentissage de la politesse.
  • La deuxième manière fait que ce n’est pas parce que nous nous ressemblons ou partageons quelque chose en commun que nous pouvons vivre ensemble. C’est parce que nous décidons de vivre ensemble que nous partageons et reconnaissons le commun. C’est une forme de fraternité, lorsque l’expression de nos libres choix et décisions rejoint celle des autres, mais qui demande parfois le sacrifice de l’individu aux intérêts du groupe.
  • La dernière nous fait faire le va-et-vient entre notre individu et le groupe en nous faisant maintenir la tension entre les deux. C’est la créativité qui, à la fois, nous permet de nous sentir vivre en tant qu’individu et nous relie au groupe.

Du côté de l’éducation au « vivre ensemble », Gérard Neyrand revisite la responsabilité excessive donnée aux parents quant à la façon dont un enfant se forme, en les mettant au centre de la transmission. Pourtant, à une époque où l’enfant scolarisé passe plus de temps devant un écran qu’à l’école, la place des parents dans la socialisation et l’éducation de l’enfant diminue. Les autres acteurs et actrices de la socialisation sont les professionnel·e·s de l’accueil, les enseignant·e·s, les intervenant·e·s du soin, des temps de loisirs et les médias.

Toutes ces personnes sont porteuses de valeurs et de conceptions éducatives parfois éloignées de celles des parents. L’omniprésence médiatique joue aussi un rôle significatif et a un impact qu’il est difficile de mesurer. Mais il est clair aujourd’hui que la socialisation par imprégnation culturelle a pris une place grandissante avec le développement des médias. Pour prendre un exemple parlant, l’éducation sexuelle d’un enfant s’effectue souvent sur le Net, avec une connotation pornographique.

Confronté à ces multiples influences, l’enfant devient un enfant pluriel et connecté.

Si l’objectif d’une société est d’éduquer ses enfants tout en leur apportant du bien-être, il faudra, d’une part, reconnaitre l’importance de l’éducation parentale dans son rôle de régulation des multiples influences socialisatrices et reconnaitre la diversité et l’importance des intervenant·e·s en jeu, médias compris. Le but étant la construction d’une co-socialisation, « avec tous les risques que peut comporter une telle entreprise utopique… »[2].

Penser la cosocialisation , la coordination entre les acteurs et actrices éducatives et la place des parents comme régulateur, devient une urgence contemporaine.

Pierre Delion [3] avance l’idée que la violence avec les enfants et la violence des enfants est un problème qui ne peut en rester aux cas individuels et doit trouver des réponses au niveau collectif, nécessitant de créer une synergie entre toutes les personnes concernées. Son ouvrage raconte une aventure citoyenne innovante dans laquelle tous et toutes travaillent ensemble autour d’activités concrètes dans les lieux des enfants (écoles, lieux d’accueils, etc.).

Philippe Meirieu préfère l’expression « faire ensemble » à celle du « vivre ensemble ». Un groupe humain, pour faire une place à chacun·e, pour promouvoir chaque membre et lui donner les moyens de s’engager avec d’autres dans la construction d’un avenir commun ne se suffit pas d’un arsenal de règles, de signalements et de sanctions. Dans notre société dominent d’un côté, l’individualisme et le chacun pour soi, et de l’autre, les groupes grégaires. Construire du collectif revient à élaborer une architecture grâce à laquelle les êtres ne tombent pas les uns sur les autres en des alternances d’amour et de haine, de réconciliations faciles sur le dos de boucs émissaires toujours pour s’assurer du pouvoir sur les autres. « Du collectif où l’on fait l’expérience, tout à la fois, de la solidarité et de l’autorité : solidarité nécessaire pour que ce qui s’est construit ensemble se réalise au mieux…autorité pour que chacun et chacune, dans son rôle et en tant qu’il est responsable d’une tâche précise, puisse contribuer à ce que le projet de tous soit mené à bien »[4]. Il existe toutes sortes de tâches, de fonctions et de rôles qui permettent de faire l’apprentissage de la véritable autorité

François Hébert [5] pose la question « Qui pense que coexister sereinement et de façon constructive se fait tout naturellement ? Notre tort est de vivre et travailler ensemble sans nous arrêter un moment pour nous demander comment échanger, comment décider, avec quels canaux de communication ? Construire le vivre ensemble suppose de créer des espaces spécifiques pour se parler, résoudre des problèmes, faire des projets collectifs.

Instaurer des réunions avec les enfants semble aller de soi. Or il n’en est rien. Une réunion d’enfants risque de devenir un dialogue de sourds où les enfants qui osent prendre la parole (certain·e·s s’autocensurent) critiquent et réclament tandis que les professionnel·le·s, sur la défensive, contre-attaquent puis se plaignent…

Pour qu’un espace-temps de parole soit fécond, il convient de le construire, de le préparer. Il faut que le déroulement de la séance soit pensé et les procédures de décision explicitées. Sinon le risque est de rester dans le dilemme : laisser un groupe à lui-même, en horde sauvage, ou revenir à l’autorité la plus plate de qui dirige. Le risque de ces réunions est leur lourdeur – attendre son tour pour parler, etc. –  et leur caractère artificiel. Il existe des pistes pour les alléger, les ritualiser, les médiatiser autour d’une activité commune par exemple. La recherche du consensus est souvent plus intéressante que le vote pour la prise de décisions surtout quand il s’agit de liquider un conflit.

Alors oui, le groupe peut être un lieu de découvertes, notamment sociales, et d’apprentissage très riche. Il peut aussi être le lieu de l’arbitraire, du bizutage, de la domination des plus faibles par les plus forts. En cela il n’est plus qu’un survivre ensemble.

[1] Bachler, L. (2021), Vivre ensemble, pour quoi faire?, In : Spirale no 95, pp. 45-56

[2] Neyrand, G. (2021), Socialisation, éducation, transmission, autonomisation, et quoi encore ?, In : Spirale no 95, pp. 38-44

[3] Delion, P. (2019), Violences et enfance : une expérience de prévention citoyenne à Lille, Toulouse, Erès

[4] Meirieu, P. (2020), Du « vivre ensemble » au « faire ensemble »,  In : Vers l’éducation nouvelle : la Revue des Céméa, no 576, pp. 26-28

[5] Hébert, F. (2012), Contrat, résolution de problèmes, réunions d’enfants: comment vivre ensemble ?, In : Chemins de l’éducatif, Paris, Dunod, pp 381-385