Rechercher sur le site du CREDE

Médiathèque

Repéré pour vous

Développement de l’enfant

Restriction de la liberté des enfants et hausse des troubles psychologiques, quels liens ?

Nous laissons de moins en moins de temps aux enfants pour jouer, explorer et creuser leurs propres centres d’intérêt. Parallèlement, leur santé mentale et physique se dégrade. Cette réduction du temps libre et la vision carriériste de l’enfance font payer un lourd tribut à ces générations car ce que les enfants expérimentent en jouant librement ne s’apprend d’aucune autre façon.

La pulsion ludique est fondamentale [1]. Pour les enfants, jouer librement est le moyen d’apprendre à se faire des amis, à s’approprier et à pratiquer les compétences physiques et intellectuelles nécessaires pour s’en sortir dans leur environnement culturel. C’est aussi le moyen d’apprendre à surmonter leurs peurs et à résoudre par eux-mêmes leurs problèmes. Rien ne peut compenser la liberté dont nous les privons : ni les jouets, ni le temps que nous passons avec eux, ni les activités que nous leur offrons.

L’anxiété et la dépression sont fortement liées au sentiment de manque de contrôle sur sa propre vie. Les recherches ont montré que les personnes qui pensent subir les situations sur lesquelles ils n’ont aucune prise sont plus susceptibles d’être anxieuses et de développer une dépression. Chez les jeunes, l’impression de contrôle sur leur propre destin a décliné de façon continue [2]. La concomitance entre la hausse des troubles de tous types chez les jeunes et le déclin du jeu libre ne constituent pas la preuve d’un lien de cause à effet, mais, pour Peter Gray, des arguments logiques vont dans le sens d’un tel lien.

Le jeu libre est effectivement le moyen qui permet à l’enfant de ne pas être impuissant. Loin des adultes, les enfants ont vraiment le pouvoir et peuvent s’entraîner à l’exercer. Ils construisent leur savoir-être avec les autres dans un rapport d’égalité plutôt que de subordination (sous forme d’obéissance ou de rébellion). Ils apprennent à prendre leurs propres décisions, à résoudre leurs propres problèmes, à créer et respecter des règles.

Lorsqu’ils se dépensent dans des jeux à l’extérieur, ils se confrontent volontairement à des situations qui les effraient modérément et apprennent ainsi à maîtriser leurs mouvements, leur corps et leurs peurs. Pendant les jeux sociaux, les enfants s’exercent à négocier avec les autres, à leur faire plaisir, à gérer et surmonter l’angoisse engendrée par les conflits. S’essayant à de nombreuses activités, ils y découvrent aussi ce qu’ils aiment, leurs talents et leurs préférences. Seules ces expériences vécues peuvent être le vecteur de ces apprentissages.

Quand nous réduisons les occasions de jeu libre laissé aux enfants en augmentant les activités dirigées par un adulte, nous les empêchons de réaliser qu’ils et elles ne sont pas seulement le jouet des circonstances ni soumis à d’autres personnes détentrices du pouvoir.
Dans les jeux sociaux, tous les participants et participantes savent que ceux qui n’y trouvent pas leur compte quitteront la partie et que si trop de joueurs et joueuses abandonnent, le jeu sera terminé. Pour qu’il continue, les enfants doivent satisfaire à la fois leurs propres désirs et ceux des autres et ainsi apprennent à faire des concessions, à négocier en cas de désaccord et à résoudre des conflits. Autrement dit, nous avons tous besoin de l’aide et du soutien d’autrui et, pour les obtenir, nous devons savoir comment l’aider et le soutenir de notre côté.

La pulsion ludique des enfants leur fait ignorer les sources d’inconfort et les réactions impulsives afin de pouvoir continuer à jouer selon les règles. Quand ils jouent ensemble à ce genre de jeux, ils font plus qu’exercer leur imagination. Ils incarnent des rôles et, par ce biais, s’entrainent à se comporter selon les conceptions communes de ce qui est approprié ou pas en société. De ce point de vue, le jeu entre enfants d’âges différents est très précieux : les grands aident les plus jeunes, apprennent à mener le jeu, à prendre soin d’autrui, à moins développer leur égoïsme et leur narcissisme consistant à trop se préoccuper de soi-même et pas assez des autres. L’école qui, pour Peter Gray, n’est pas le produit de la science ni de la logique mais un produit de l’histoire, entrave le développement de la coopération en entretenant la compétition par les évaluations et véhicule implicitement l’idée que chaque élève doit veiller à ses propres intérêts et faire mieux que les autres. Cet esprit allié à la ségrégation par classes d’âge et le manque de pouvoir réel des enfants dans les instances scolaires créent des conditions favorables à l’émergences de groupes rivaux entrainant à leur tour des phénomènes de harcèlement.

Se mettre d’accord et être capable de bien s’entendre avec les autres fait partie des compétences humaines les plus précieuses pour la survie.

Rappelons que le jeu libre se définit par une attitude mentale, une motivation interne et non par un comportement observable. L’expression du visage, la façon d’agir, les paroles, etc. sont les détails qui permettent à l’adulte de déduire qui est en train de jouer et qui ne l’est pas. La structure du jeu ou ses règles ne sont pas dictées par les nécessités physiques mais par la fantaisie des joueurs et joueuses. Le jeu relève de l’imaginaire, ne coïncide pas avec la réalité et la «vrai vie ». Il implique un état d’esprit actif mais dépourvu de stress.

Ce sont les joueurs et joueuses qui décident de ce à quoi ils jouent et comment. Ils sont libres de modifier les règles, le but et peuvent à tout moment quitter le jeu. Généralement, les enfants transposent les réalités du monde dans un cadre fictionnel où ils peuvent en toute sécurité s’y confronter, les vivre et s’exercer à des moyens d’y faire face. Certaines personnes craignent que les jeux violents créent des adultes violents. C’est l’inverse qui se produit.

« C’est la violence du monde des adultes qui conduit très logiquement les enfants à jouer à des jeux violents …Il est faux de penser que nous pouvons changer le monde à venir en exerçant un contrôle sur ce que les enfants apprennent et sur ce à quoi ils jouent.»[3].

Si les enfants jouent autant aux jeux vidéo aujourd’hui, (jeux qui les amusent et leur apprennent beaucoup), c’est peut-être parce que là, au moins, ils peuvent jouer librement, sans que les adultes interviennent et leur donnent des directives. Néanmoins, pour la construction de l’équilibre physique, la découverte du monde réel et les interactions sociales, le jeu en plein air est irremplaçable.

Dans notre culture, les parents et les adultes surprotègent les enfants par rapport aux dangers potentiels des jeux. Comme nous sous-estimons nos enfants, nous les privons des occasions d’apprendre, occasions qui leur sont nécessaires pour se rendre maitres de leurs comportements et pour réguler leurs émotions. De plus, nous exacerbons leur narcissisme, cette vision surdimensionnée de l’ego qui tend à couper l’individu des autres et à l’empêcher de développer des relations duelles satisfaisantes. De facto, nous ne favorisons pas leur empathie, cette tendance à se relier émotionnellement et cognitivement à l’autre et à éprouver de la compassion et l’envie d’agir quand il leur arrive malheur.

Au nom de la sécurité, nous les avons privés de la liberté dont ils ont besoin pour développer leur compréhension du monde, le courage et la confiance en eux nécessaires pour affronter les défis et les dangers de l’existence. Espérons ne pas devenir trop anxieux pour exercer notre esprit critique et faire preuve de créativité dans ce domaine !

 

[1] Gray, P. (2023), Libre pour apprendre, Arles : Actes Sud.
[2] Ce livre a été écrit en anglais en 2013, (traduit en français en 2023), donc bien avant le Covid qui a plutôt révélé une problématique sous-jacente. (Note du Crede).
[3] Gray, P. (2023), Libre pour apprendre, Arles : Actes Sud, p. 287