Korczak était un observateur des enfants, attentif et rigoureux, sensible aux problèmes sociaux et, entre autres activités, il dirigeait un orphelinat de concert avec les enfants, comme une petite république. Ses ouvrages visent à susciter la réflexion et ne fournissent pas de recettes sur les importants principes pédagogiques tels que le respect à l’égard des enfants et l’équité dans le groupe.
Jean Houssaye, dans « Janusz Korczak. L’amour des droits de l’enfant » [1] développe les conceptions éducatives de Korczak qui estime qu’il faut faire confiance à l’organisation sociale des enfants entre eux plutôt que chercher à l’organiser ou à la contrarier. Donner aux enfants la liberté de choisir, d’agir et d’apprendre en favorisant plutôt la coopération que la compétition et l’expérience de la démocratie au lieu de la répétition d’une organisation basée sur l’obéissance, la docilité et la répression. Il est ainsi nécessaire d’apprendre les lois des groupes, d’y repérer les forces positives et négatives. Partage et identification des responsabilités dans un groupe d’enfants sont à favoriser. Cette reconnaissance de la complexité des enfants suppose qu’on ne se laisse pas aller sur la pente de la surveillance et du dressage qui ne ferait qu’engendrer peur et révolte. Malheureusement, l’enfant éveille notre attention quand il nous dérange et nous ne remarquons pas les moments où il est calme, sérieux, concentré. « Nous voulons qu’il saute et tape dans les mains, alors il affiche le visage souriant d’un bouffon »[2].
Dans la préface d’un des livres de Korczak, réédité en 2010, « Le droit de l’enfant au respect » [3], Frédéric Jésu et Bernard Defrance, vice-présidents de la section française de DEI (Défense des Enfants International), s’inquiètent de graves inégalités pesant sur les conditions de vie de plus de 2 millions d’enfants vivant sous le seuil de pauvreté en France. Ils s’inquiètent aussi des mesures prises en matière de discipline scolaire et de justice des mineurs, détruisant toute éducation à la liberté car basées sur les mythes de l’enfant-roi et de ses parents et éducateurs démissionnaires. En Suisse, Jean Zermatten, président du Comité des droits de l’enfant et ancien juge des mineurs, les rejoint dans ses préoccupations. Il estime qu’on régresse dans le domaine de la justice des jeunes, en pensant que les enfants sont dangereux (violence, drogue, etc.) ou que la justice est trop gentille. La tendance est à la « tolérance zéro ». La Suisse dispose d’institutions de soins et de scolarité d’un haut niveau mais ce qui manque le plus actuellement est la vision de l’enfant comme sujet de droits. « Comment permettre à l’enfant d’exprimer son opinion ? Avec quels outils évaluer l’intérêt de l’enfant ? » [4]. Pour F. Jésu et B. Defrance, et à l’instar de l’organisation de l’orphelinat de Korczak en petite république, on doit organiser des dispositifs de participation des enfants à toute décision les concernant (art. 12 de la Convention, ratifiée par la Suisse en 1997), sans leur infliger des exigences démesurées par rapport à leur âge et sans les infantiliser en retardant trop l’exercice des libertés citoyennes. Ainsi, toute institution recevant des enfants et qui ne met pas en place des dispositifs adaptés de participation à son fonctionnement serait hors-la-loi ! Le droit de l’enfant au respect est un défi que les adultes doivent relever car « si nous délaissons le présent de nos enfants en faveur du lendemain, nos craintes finiront pas se concrétiser : le toit s’écroulera car nous aurons négligé les fondations »[5].
[1] Houssaye, J. (2000), Janusz Korczak : L’amour des droits de l’enfant, Paris : Hachette
[2] Korczak, J. (2009), Le droit de l’enfant au respect, Paris : Fabert, p. 44
[3] op.cit.,
[4] « Ce n’est pas un kindermenü » Jean Zermatten / propos recueillis par Clotilde Buhler, In : Actualité sociale N°46 (2013), p. 7
[5] Korczak, J. (2009), Le droit de l’enfant au respect, Paris : Fabert, p. 41