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Maltraitance : état des lieux

La maltraitance est une violence qui atteint l’humanité de l’enfant. Où et quand commence-t-elle, quelles en sont ses formes ? Existe-t-il des signes que les professionnel·les des UAPE et des APEMS sont en mesure de repérer avant d’agir ? Tour d’horizon.

La maltraitance envers les enfants est le résultat de facteurs individuels, familiaux, sociaux, économiques et culturels, qui s’influencent mutuellement.

On distingue, à l’heure actuelle et dans notre société, cinq formes de maltraitance dont la gravité varie selon l’âge de l’enfant, la répétition et l’intensité des faits [1].


La maltraitance physique
est l’utilisation délibérée de la violence physique causant ou pouvant causer des lésions corporelles. Les châtiments corporels en font partie, allant des punitions aux sévices. Les atteintes corporelles sont de deux ordres de gravité :
– les brutalités sans altération physique grave : présence de plaies superficielles ou de contusions (ecchymoses, hématomes) régressant spontanément ; ces brutalités consistent en gifles, fessées, secouades, projections physiques, coups avec ou sans objet contondant ;
– les sévices corporels comprenant les blessures, fractures, brûlures, alopécie (arrachements de cheveux), noyade, strangulation, empoisonnement, transmission de toxines, abus sexuels, mutilations et torture.


La maltraitance psychologique
consiste à donner à l’enfant l’impression qu’il est sans valeur, déficient, non aimé ou non désiré, qu’il est menacé ou n’a intérêt que pour les besoins d’autrui. Son environnement l’expose à des peurs intenses, des colères excessives, des exigences irréalistes.
La violence psychologique ou psychique représente une atteinte et une entrave importante à son développement par le biais notamment du rejet, des punitions extrêmes, de l’intimidation, de la terreur et de l’isolement. Il peut être victime de corruption et impliqué dans des actes de délinquance, de consommation de psychotropes, de sexualité adulte. L’enfant est très exposé aux troubles psychiques de son ou ses parents, en permanence parentalisé ou parentifié [2].  Insultes, moqueries, humiliations, privation d’amour permanente, séquestration, isolement des pairs, attribution du rôle de bouc émissaire, menaces graves d’abandon et/ou de mort, ces sévices impactent sa confiance en lui-même et peuvent affecter sa santé psychique et mentale. Dans ces cas, l’enfant ne reçoit pas de marques d’affection et subit l’indifférence face à ses demandes.
Les effets de ce type de violence sont souvent sous-estimés ou non reconnus comme tels.


La maltraitance sexuelle
– abus sexuel – comprend tous les actes ou tous les contacts d’ordre sexuel accomplis avec ou face à un enfant, qu’ils soient ébauchés, sans contact direct ou réalisés. On les classe ainsi :
– les abus sans attouchement consistant en invitations sexuelles, actes de pornographie, exhibitionnisme ;
– les attouchements caractérisés par les contacts sexuels inappropriés : pénétration simulée, masturbation de la victime, attouchements sur l’abuseur·euse ;
– les abus avec pénétration orale, génitale ou anale, l’inceste et la prostitution.

L’auteur·e de ces sévices abuse de son autorité et de sa position de pouvoir pour satisfaire ses propres besoins au détriment de ceux de l’enfant.


Les négligences
concernent les atteintes commises par omission aux besoins physiques, émotionnels, médicaux ou éducatifs de l’enfant. On parle également de négligences lorsque les personnes de référence n’accordent pas à l’enfant une protection et une sécurité suffisantes à l’intérieur et à l’extérieur de son espace de vie, par rapport à son développement. En voici quelques éléments :
– le régime alimentaire de l’enfant entrave également gravement son développement ;
– son habillement l’expose à des impacts importants sur sa santé ;
– l’absence des soins médicaux affecte sévèrement sa santé ;
– son habitat porte une atteinte grave à sa sécurité physique ;
– le manque de surveillance adéquat l’expose à des dommages corporels ;
– Il est déscolarisé ou ne reçoit pas d’instruction.

Il y a négligence affective lorsque les parents ou les autres personnes de référence proches entretiennent avec l’enfant une relation inconsistante ou inconstante et ne répondent pas à ses besoins émotionnels.


L’exposition de l’enfant aux violences domestiques
comprend le fait d’être témoin direct ou indirect des violences physiques, psychologiques, sexuelles et économiques qui surviennent au sein du couple ou entre des anciens conjoints ou partenaires. L’enfant se trouve souvent pris dans un conflit de loyauté ou de protection entre sa mère et son père, se sent responsable de la violence, menacé et dépassé. Il craint aussi pour sa sécurité et celle de son entourage, notamment de ses frères et sœurs. Cette exposition à la violence s’accompagne souvent de maltraitances physiques.

L’enfant présente des symptômes tels que des troubles anxieux ou adaptatifs (dépression, anxiété, phobies, repli sur soi, agressivité, intolérance à la frustration), des troubles de l’attachement ou post-traumatiques (hypervigilance ou dissociation). L’impact de la violence conjugale sur lui est généralement dénié et aucune réponse n’est apportée à sa souffrance, ce qui renforce son sentiment d’isolement, d’impuissance et de culpabilité.

Les signes chez les enfants âgés de 5 à 12 ans

 

On trouve, d’une part, au niveau de la santé physique et mentale des enfants exposés à la violence conjugale et familiale, les éléments suivants: plaintes somatiques, anxiété, dépression, stress post-traumatique, faible estime de soi, confusion et ambivalence, crainte d’être victime de violence ou abandonné, sentiment d’être responsable de la violence et de devoir intervenir, mauvais résultats scolaires, difficultés de concentration, convictions stéréotypées sur les sexes et le genre, crainte d’amener des ami·es à la maison, agressivité, repli sur soi, destruction de biens, comportement de séduction, de manipulation ou d’opposition, irrespect à l’égard des femmes.

D’autre part, l’enfant présente des difficultés à s’exprimer et à nommer ce qu’il vit et ce qu’il ressent, en particulier pour les contenus chargés en émotions. Il manifeste peu ou maladroitement ses besoins ou ses envies propres ; ses réponses aux questions sont souvent pauvres, il privilégie l’agressivité ou s’enferme dans un mutisme (ou à l’inverse dans la logorrhée – il parle tout le temps). Tout changement l’inquiète, le menace dans son intégrité et le plonge dans un état d’agitation ou de sidération.

Il ne montre pas d’intérêt particulier pour l’école, avec une diminution des capacités d’apprentissage et de la mémorisation, un manque de concentration et d’attention. L’enfant souffre de perturbations dans son développement physique et de carences dans son état de santé. Son attitude est caractérisée par une timidité excessive ou au contraire un manque de respect vis-à-vis des adultes ou de ses pairs. Son fonctionnement se situe dans l’agir, avec une labilité émotionnelle (changements d’humeur soudains, inappropriés et instables) et une absence de confiance en soi qui aboutissent à une conduite souvent asociale et inadaptée.

Au niveau de sa sociabilité, l’enfant se montre trop familier avec les personnes inconnues de lui, aucun adulte ne semble plus significatif qu’un autre, il recherche excessivement l’attention. Ses relations sont superficielles, il se relie de façon mécanique, fait et dit ce que les autres attendent de lui ou est manipulateur et centré sur ses intérêts. Il ne peut conserver les bons moments sans les détruire par la suite. Réagissant mal aux compliments et aux récompenses il manifeste également beaucoup d’intolérance à toute attente de l’adulte à son égard.

Les réactions de la victime à toute limite ou exigence comme à une attaque ou à une critique se traduisent par des difficultés à admettre ses torts, même pris sur le fait et à se montrer inatteignable même lorsqu’il est sanctionné.

Les relations à ses pairs sont conflictuelles :
– contrôle excessif ;
– manque d’empathie et de chaleur ;
– manipulation et hostilité lorsqu’il n’a pas ce qu’il veut ;
– difficulté à partager l’attention de l’adulte.

Selon la gravité des traumatismes subis, leur durée, leur répétition et leur complexité, l’enfant pourra souffrir de troubles dissociatifs, d’amnésies, de dépersonnalisation. Dans ce genre de situation, il ne se souviendra pas d’avoir vécu un trauma (amnésie infantile avant 4 ans) cependant, celui-ci laissera des traces. Il s’agit ici de l’enfant qui peut être brusquement violent, ne plus se souvenir de ce qu’il a fait ou maintenir que ce n’était pas lui. On le traite alors de menteur et le malentendu s’aggrave [3].

Facteurs de risque et facteurs de protection

 

En plus des signes observés chez l’enfant, de ses interactions avec les adultes et ses pairs et de ce qu’il a pu dire de son état et de ses relations intrafamiliales, il faut considérer les facteurs[4] de risque et les facteurs de protection pour évaluer la pertinence d’un signalement.

Savoir si le bien-être de l’enfant est gravement mis en danger ne peut se déterminer uniquement à l’aide d’une liste de critères exhaustifs [5]. Il faut procéder à une appréciation globale dans différents domaines. Il est donc essentiel de rester prudente et prudent face aux facteurs de risque afin de ne pas stigmatiser les enfants et leurs familles.

Le facteur de risque le plus important pour un enfant est d’avoir un parent qui a été lui-même maltraité durant son enfance. Une recherche au Québec a révélé que 35% des femmes enceintes interrogées (sur un échantillon de 2853) ont déclaré avoir subi des maltraitances, des négligences comme des abus sexuels. Une statistique choquante d’après son auteur, Nicolas Berthelo[6] et des risques importants au niveau de la répétition transgénérationnelle des maltraitances.

Sur le plan parental, les facteurs de risque les plus documentés sont la pauvreté, les problèmes de santé mentale, l’abus de substance actuel ou passé, un faible revenu et la violence conjugale (Austin, Lesak & Shanahan, 2020)[7].

Les enfants les moins bien protégés en Suisse sont les plus jeunes[8]. Il est frappant de constater l’âge moyen élevé des enfants ayant fait l’objet d’une dénonciation pour violence physique.

Les enfants dont la situation est portée à la connaissance d’une organisation de protection de l’enfance ont en moyenne plus de 10 ans et plus de 12 ans pour les cas relevant du droit pénal. Cette constatation est surprenante étant donné que de nombreuses études ont montré que les enfants beaucoup plus jeunes étaient également touchés. Des lacunes dans la formation professionnelle spécifique à la maltraitance participent certainement à cette problématique[9].

Maurice Berger, dans son ouvrage « Voulons-nous des enfants barbares ?[10]», estime que le nombre d’enfants violents qui n’ont pas la liberté interne de ne pas frapper va continuer à augmenter si rien n’est fait à propos des perturbations des échanges intrafamiliaux au cours des deux premières années de la vie d’un nourrisson. L’idéologie d’un lien familial à tout prix selon laquelle le maintien d’un lien physique fréquent entre l’enfant et ses parents a une valeur absolue ne permet pas aux enfants maltraités de se soigner et d’être soignés.

Quelques chiffres

 

La troisième étude Optimus[11] de 2018 a montré que chaque année près de 2 à 3,3 % des mineur·es vivant en Suisse entraient pour la première fois en contact avec une organisation spécialisée en protection de l’enfance en raison d’une mise en danger, soit 30 000 à 50 000 enfants par an. On suppose néanmoins que la réalité des chiffres est nettement plus importante.

Dans le cadre de l’étude, la négligence est la plus fréquemment citée (22,4 %) ; la maltraitance physique (20,2 %), la maltraitance psychique (19,3 %) et l’exposition à la violence dans le couple (18,7 %) le sont légèrement moins souvent ; enfin, 15,2 % concernent des situations d’abus sexuels.

Dans le rapport d’activité 2024 de la DGEJ[12], Manon Schik comptabilise un total de 8600 enfants suivis par le service (164 429 mineur·es dans le canton de Vaud), dont 1025 pour cause d’exposition à la violence domestique. 3392 nouvelles situations ont été annoncées à la DGEJ, ce qui représente une augmentation largement supérieure à la croissance démographique du canton. Une partie de cette augmentation est liée à davantage de signalements d’enfants en danger, l’autre partie à une complexité accrue des situations qui nécessitent donc un suivi sur plusieurs années.

Cette augmentation indique que le nombre d’enfants en souffrance dans le canton connait une croissance inquiétante. Toutefois, elle signifie aussi que les professionnel·les qui entourent les enfants sont aujourd’hui plus attentives et attentifs aux signaux de maltraitance, de négligence grave ou de violence domestique subies par les enfants. À noter que les professionnel·les de l’accueil de jour signalent peu de situations.

La formation des professionnel·les, la communication sur les situations de maltraitance et sur la nécessité de protéger les mineur·es permet de garantir une détection plus précoce, et à terme une meilleure prise en charge. La majorité des enfants suivis, soit 4849, ont entre 7 et 15 ans alors que 2104 ont entre 0 et 6 ans.

Que faire ou comment le faire ?

 

Concernant le signalement à l’autorité de protection de l’enfant, toutes celles et ceux qui sont en contact régulier avec des mineur·es de par leur profession ont l’obligation légale de signaler ces situations, dès le moment où ils ont connaissance d’indices concrets que l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’un enfant est en danger et qu’ils ne peuvent pas remédier à cet état de fait.

Au sein de toute institution ou de tout lieu d’accueil et en cas de suspicion de mise en danger du bien-être de l’enfant, il convient de discuter la situation en équipe et avec les supérieur·es hiérarchiques, de s’adresser aux services spécialisés destinés aux professionnel·les pour discuter d’une situation de manière anonyme. La clarification des procédures internes et des compétences au sein de l’institution (qui décide d’un signalement, qui le signe, etc.) sont indispensables.

Hubert Montagner[13] propose que les lieux d’accueil parascolaire soient conçus pour préserver ou restaurer les racines majeures de la sécurité affective. Il est nécessaire alors d’assurer la possibilité, pour chaque enfant, de développer des interactions avec au moins une personne « figure d’attachement sécure », à qui il peut révéler sans retenue ses émotions dans une communication apaisée et rassurante. Ce ou cette professionnel·le ne le juge pas et ne le renvoie pas à ses difficultés. Au contraire, il démine ses peurs et ses blocages. C’est bien dans ce genre de lieu d’accueil qu’est offert un temps où on peut se poser, être ensemble, sans avoir forcément quelque chose à faire. Il s’agit d’un espace propice pour l’enfant qui désire se livrer et rencontrer un adulte qui a développé une éthique professionnelle pour traiter ces questions-là. À aucun moment, les professionnel·les questionneront l’enfant directement sur le traumatisme, car en parler va activer les réseaux physiologiques du stress, réactiver les sentiments d’impuissance et d’incompétence et le faire sortir de sa fenêtre de tolérance. Il faut pour cela un cadre sécure avec la possibilité de proposer des moyens de régulation émotionnelle et un contenant tel que doit le prévoir une thérapie.

Savoir écouter l’enfant, ses doutes, ses angoisses et ses peurs. Éviter toute stigmatisation et réaliser que l’UAPE ou l’APEMS est probablement ou potentiellement un lieu protecteur et ressourçant pour l’enfant. Selon la gravité de ce qui est entendu ou observé, devoir en discuter en équipe et informer sa hiérarchie pour un travail de réseautage ou/et de signalement de la situation. Se renseigner, se former à la problématique, etc. En un verbe comme en cent autres, c’est agir dans l’intérêt de l’enfant !

 

[1] Hauri, A. & Zingaro, M. (2020). Déceler la mise en danger du bien-être de l’enfant et agir de manière adéquate. Guide pour les professionnel-le-s du social. Protection de l’enfance Suisse.

Ce guide s’adresse entre autres aux professionnel-le-s de l’enfance et s’articule en deux parties. La première partie comprend les différents types de mise en danger du bien-être de l’enfant,  les facteurs de risque et de protection et inclut le cadre légal en protection de l’enfance. La deuxième partie vous accompagne étape par étape tout au long du processus permettant d’apprécier l’existence ou non d’une mise en danger du bien-être de l’enfant et si un signalement à l’APEA (https://www.vd.ch/djes/dgej/contacts-dgej pour le canton de Vaud) est indiqué.

[2] La parentification correspond au fait que l’enfant supporte des rôles parentaux pour les membres de sa famille (père, mère, mais aussi frères, sœurs), des tâches matérielles et psychologiques n’étant pas adaptées à son niveau de maturité.

[3] Potgieter Marks, R. (2025, 31 octobre). Throught the Eyes of the Child : Dissociation and Dissociative Experiences [Conférence] . Symposium scientifique : Figé par le trauma : comment en sortir. Département de Psychiatrie (DP) – SUPEA à Lausanne.

[4] Idem 1, pp. 42-48.

[5] Le « Guide de référence pour l’appréciation et l’évaluation du danger encouru par l’enfant et des compétences parentales » documente le processus d’appréciation et d’évaluation par la DGEJ de la mise en danger de l’enfant. La pondération et la synthèse de cette appréciation/évaluation sont de la seule compétence de la DGEJ.

[6] Berthelot, N. (2025, 31 octobre). Mentalisation et trauma complexe : enjeux et pistes d’intervention auprès des parents. [Conférence] . Symposium scientifique : Figé par le trauma : comment en sortir. Département de Psychiatrie (DP) – SUPEA à Lausanne.

[7] Cité in Zaouche-Gaudron, C. (Éd). (2024).  Maltraitance, violences et négligences envers l’enfance. Enfance,  Puf.

[8] Caranzano, M. (2018). In : Mauvais traitements envers les enfants en Suisse. Formes, assistance, implications pour la pratique et le politique.

[9] https://www.unil.ch/ome/fr/home/menuinst/bienvenue-a-lome/objectifs.html

[10] Berger, M. (2025). Voulons-nous des enfants barbares ? Prévenir et traiter la violence extrême, Dunod.

[11] Observatoire de la maltraitance envers les enfants

[12] DGEJ : rapport d’activité 2024.

[13] Montagner, H. (2011).  Temps de l’enfant et structures d’accueil. In Ott, L &  Murcier, N. Le Mythe de l’Enfant-roi. Philippe Duval.