Nous apprécions beaucoup le travail de l’équipe du Furet qui nous amène régulièrement, par la parution de sa revue, des témoignages des professionnels de la petite enfance de ce qui se vit dans les crèches françaises. Même si les réalités socio-politiques ne sont pas exactement les mêmes, beaucoup d’aspects du travail avec les parents nous relient. Pour une fois, ce sont les parents réunis en un collectif qui s’expriment à travers une lettre ouverte ; ils déroulent le long écheveau de la coéducation…un témoignage magnifique !
Cher(es) professionnels(les),
A vous les professionnels, à qui je confie chaque jour mon enfant, je souhaite vous parler de « l’accueil », ce temps si particulier… Oui, on m’a dit que c’est une action du schéma départemental, mais le connaissez-vous, le schéma de l’accueil de l’enfant et de famille ? D’ailleurs, il porte bien son nom… A la naissance de mon enfant, dans le carnet de santé, j’ai découvert l’existence de ce schéma d’accueil, je le vis, chaque jour, et j’ai besoin d’en parler avec vous.
L’accueil idéal, c’est celui que vous me faites et que vous faites simultanément à mon enfant, à chaque arrivée et à chaque départ. C’est mon enfant que je vous confie, à vous, les professionnels.
Nos attentes sont communes, je le sais, le bien-être de mon enfant, mais parfois, on ne prend pas le même chemin. C’est tellement normal, on n’a pas la même place. Vous avez vos compétences professionnelles, notamment en pédagogie, qui sont importantes pour moi. Mais n’oubliez pas les miennes, mes compétences de parent, qui sont importantes pour vous. Celles dont vous parler si souvent entre vous, si j’ai bien compris, mais dont nous devrions parler ENSEMBLE ; ainsi nous pourrions trouver ensemble la complémentarité de nos places.
J’en profite pour vous dire combien vous avez calmé mes angoisses et m’avez mis en confiance lorsqu’on s’est rencontré la première fois. Vous m’avez rassuré en m’accompagnant pour visiter le lieu où mon enfant allait passer sa journée, en me donnant tout le temps dont j’avais besoin. Si cela n’avait pas été la cas, je ne serai jamais revenu … vous savez c’est aussi une question de rencontre…
Chacun de ces temps d’accueil quotidien représente un temps décisif pour moi, il donne le ton de la journée de mon enfant, mais aussi de la mienne.
L’accueil a des impacts sur ma manière d’être parent et sur ma parentalité. Laissez-moi le temps d’être un parent qui tâtonne d’autant plus que j’ai la chance de vous avoir à mes côtés et c’est important pour moi.
J’ai besoin de vous, votre conseil est utile pour moi et pour mon enfant, mais seulement quand je peux l’entendre. Ainsi, je me sens acteur de mon rôle de parent. J’aime quand vous êtes dans l’empathie, à l’écoute de ce que je ressens, cela me sécurise. Sinon, vous produisez l’effet inverse de votre volonté de bien faire, ce dont je ne doute pas. Par contre, dans le temps que vous prenez pour me raconter la journée de mon enfant, pas seulement ce qu’il a mangé ou combien de temps il a dormi, non, mais plutôt ce qu’il a fait, ses relations avec les autres enfants, ses progrès, là je me sens impliqué et reconnu. D’ailleurs, je vous trouve encore meilleur professionnel dans ces moments-là… J’adore quand vous me racontez une anecdote, je me sens fier et valorisé dans mon rôle de parent : « on a toujours des choses à dire sur un enfant à son parent ! ». Ainsi, je suis moins en rivalité avec vous. C’est le mot rivalité qui vous choque, oui, on le dit rarement, mais pourtant… avant d’être en complète confiance, je peux, parfois, me sentir dépossédé.
Certains actes, certaines paroles peuvent me blesser et même me dévaloriser. L’estime que j’ai de moi-même peut être atteinte par une parole maladroite et j’ai alors le sentiment d’être un mauvais parent, cela me déstabilise, me culpabilise, j’en perds souvent mes repères. Sachez et n’oubliez pas qu’un parent culpabilisé est un parent qui se sent moins compétent.
Mais surtout ne me jugez pas, c’est ce qui me fait le plus peur. Ah? Vous ne saviez pas que parfois vous pouviez me faire peur… et quand j’ai peur, je n’ose plus rien vous dire ni sur moi, ni sur mon enfant…
Pour l’accueil d’une situation familiale particulière, un enfant en situation de handicap, une différence de langage ou autre, je sais que vous demande encore plus d’attention, d’écoute et de disponibilité, tant parfois des blessures sont encore à vif…Vous, à mes cotés, cela m’est tellement utile et précieux, parce que cela me permet de tenir jour après jour, car je culpabilise encore plus de faire garder cet enfant-là.
Sinon, si j’osais, je vous suggérerais de déculpabiliser chaque parent, faites-en même une priorité ; laissez tomber vos transmissions standardisées, revenez à la spontanéité et donnez-nous l’occasion de créer des liens entre parents.
N’oubliez pas, je ne suis pas un parent démissionnaire, comme certains professionnels peuvent parfois le penser. Je vous parle de ma place de premier éducateur de mon enfant, j’ai des attentes pour lui, pour aujourd’hui et pour son avenir.
Il arrive que je sois pressé, surtout n’assimilez pas mon passage rapide à du désintérêt, je me le permets parce que je me sens en confiance.
Je souhaite être dans l’échange avec vous, pendant l’accueil, mais aussi à d’autres moments. N’oubliez jamais que pour mettre en œuvre la coéducation nous avons besoin l’un de l’autre.
Cher(es) professionnel(les), chaque jour vous accueillez mon enfant et sa famille et je vous en remercie.
Un parent
La réalisation de cette lettre a été possible grâce au Département du Rhône et de la Commission départementale de l’accueil des jeunes enfants (CDAJE). La lettre a été publiée dans la revue Furet, en septembre 2015.
Boumaiza, S., Carrier, A., Gailleton, M., Larzat-Dibsi, V., Ramage, S. (2015). Lettre ouverte de parents aux professionnel-le-s de la petite enfance, Le furet, no 78, pp. 62-63
Cette lettre, récitée par les parents, existe aussi en format DVD.
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