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Politique et société

L’enfant, la ville, le jeu, les déplacements et l’implication des enfants dans des projets urbains

On construit pour les enfants des jolis espaces cloisonnés mais eux ne demandent que de pouvoir jouer librement dans la rue. Les adultes veulent pouvoir les surveiller mais eux demandent de pouvoir rêver, inventer, détourner. Il faut solliciter leur avis et les impliquer dans le processus de conception de leurs espaces afin qu'ils puissent créer du désordre à explorer et exploiter.

La société urbaine tend à uniformiser notre cadre de vie et oublie parfois que « ce qui est bon pour un enfant l’est pour toute la population de la ville. »[1]

Toute ville [2] procure à l’enfant une diversité de situations relationnelles et un éventail d’ambiances qui développent son sens de l’observation et sa capacité d’acclimatation. Or, les rues contemporaines n’accueillent plus les enfants, ne sont plus des lieux de sociabilité et d’interactions entre les générations et les sexes. On ne s’y installe plus, on y passe rapidement. Les enfants sont donc interdits de rue. On a conçu pour eux les parcs de jeux, univers standardisés, stériles ou « prisons dorées » avec des engins d’une grande banalité : toboggans, balançoires et tourniquets. On les cloisonne toujours davantage dans des espaces qui leur sont propres ! On bâtit une société dans laquelle les enfants vivent en marge.

Michele Poretti [3], sociologue, constate que les enfants âgés de 8 à 10 ans ne sont pas fascinés par ces places de jeux, même bien équipées et ultra modernes et que le jeu libre à l’extérieur n’est plus une activité privilégiée. Il estime aussi qu’on ne peut pas parler des enfants comme d’un groupe homogène. Il y a des enfances plurielles et il faut souligner les différences d’âge, de genre – garçons et filles n’ayant pas la même mobilité spatiale – de culture et de classes sociales. Ces dernières ont une influence sur le lieu d’habitation et sur les pratiques parentales. Dans son enquête de 2019 auprès des enfants de Sion (VS), ce sont ceux et celles des quartiers populaires qui passent le plus de temps dehors. Parce que l’espace entre les gros immeubles, sans trafic automobile comme au centre-ville, le permet et parce que leurs parents travaillent et ne sont pas à la maison, y compris le week-end. Ces enfants sont confrontés à une plus grande diversité de personnes de plusieurs nationalités avec qui ils n’ont pas forcément choisi d’interagir. Ils développent une culture de la rue avec toutes sortes de règles à négocier. Expérience riche mais pas valorisée dans notre société, notamment à l’école !

La tendance actuelle est de concevoir, dans les nouveaux quartiers, des places de jeux et des espaces verts visibles depuis les logements. Or les enfants de cette étude préfèrent jouer dans la rue, dans les garages et les buissons plutôt que dans le parc et la pelouse. En un mot dans les lieux qui ne leur sont pas destinés et où ils peuvent échapper à la surveillance des adultes. Dans les quartiers français des grands ensembles, Pascale Legué [4] fait la même constatation auprès des enfants âgés de 7 à 10 ans. Les enfants doivent demeurer sous le regard parental ou sous « l’œil collectif », sous le regard symbolique de la communauté résidentielle, donc en sécurité. Être près ou loin ne se mesure pas en mètres mais en termes de distance affective.

Qu’en est-il des déplacements des enfants de la génération du siège arrière quand ils sont des piétons ? Un parcours est toujours un prétexte à jouer. Tout micro événement attire l’attention de l’enfant. Alors que l’adulte n’a qu’un but, sa destination, l’enfant – l’écolier, l’écolière – vagabonde… et son vagabondage le forme, le distrait, l’informe. Dans notre société où la voiture est reine, l’enfant est trop petit pour voir et être vu. Entre 8 et 10 ans, s’il mesure 120-130 cm, son champ visuel est d’environ 70° et largement inférieur à celui de l’adulte qui peut dépasser 180°. Ajouter à cela la difficulté de pouvoir apprécier la distance, la vitesse, le temps d’approche des véhicules et la localisation des sons, l’enfant piéton est davantage exposé aux dangers urbains que les plus grands. Repenser la ville serait aussi lui donner plus d’espaces sur les trottoirs et plus de libertés de mouvements.

Jamais les mailles des réseaux de surveillance n’ont été aussi serrées pour les enfants avec, en même temps, une répression de plus en plus fine, pas seulement policière ou judiciaire mais aussi médicale et pédagogique pour tout comportement qui sort de la norme. Rares sont les moments où l’enfant n’est pas sous le contrôle de l’adulte, libre de rêvasser, bricoler, ne rien faire. La société organise tout sans aucun temps mort et sans espaces libres. L’enfant n’est plus disponible à lui-même. Pourtant, quand on les observe et qu’on les écoute, les enfants nous montrent et nous disent qu’ils n’aiment pas les parcs définis de façon rigide, séparée, faits pour soi-disant jouer. Ils apprécient les espaces inventifs, utilisables de plusieurs manières en fonction de chaque jeu. Souvent ils préfèrent partager ceux des adultes (cages d’escaliers, rue, etc.).

Si on veut les faire sortir du bac à sable et de l’univers algorithmé sur lequel ils n’ont aucune prise, on doit solliciter leur avis, les impliquer dans le processus de conception de leurs espaces de vie à l’extérieur. De nombreux paysagistes et architectes le font déjà et proposent un simple nivellement de terre, des arbres, un peu d’eau, l’usage de déblais d’un chantier voisin, un talus pour glisser, des morceaux de bois suspendus pour se balancer. En un mot, un territoire redonné aux enfants avec un peu de désordre qui fera du bien.

 

[1] Paquot, T. (2020), Préface de L’enfant dans la ville, In : Ward, C., L’enfant dans la ville, Paris, Eterotopia 

[2] Tonucci, F. (2019), La ville des enfants : pour une [r]évolution urbaine, [S.l.] : Editions Parenthèses

[3] Poretti, M. (2016), Enfances urbaines et politiques publiques. Regards croisés d’enfants de différents quartiers de la ville de Sion, Genève : Université de Genève

[4] Legué, P. (2015), Des villes pour les enfants ?, In : Paquot, T.(dir.),  La ville récréative : enfants joueurs et écoles buissonnières, Gollion : Infolio