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Médiathèque

Repéré pour vous

Éducation

Dictionnaire inattendu de pédagogie

De Philippe Meirieu
Ce dictionnaire est colossal ! Une somme articulée d’approches théoriques et personnelles, d’expériences et de recherches qui explorent toutes les facettes de l’éducation. Tout cela et bien plus encore sans être assommante, telle est cette balade réflexive à faire par tous les temps ! Au (presque) hasard, quelques mots choisis tout en raccourci.

Arpenter : parcourir un espace ou un territoire et le mesurer pour s’en donner une représentation.

Il est nécessaire que l’éducation, qu’elle soit familiale, scolaire, formelle et informelle, offre aux enfants la possibilité d’arpenter le monde, de l’intime au social et du connu vers l’inconnu. Il faut que chacun et chacune puisse se réfugier dans un coin à soi (le refuge), se confronter dans un espace collectif (le territoire) et s’engager dans des explorations risquées (la jungle) qui permettent d’exister autrement et ailleurs. Si l’une de ces trois dimensions vient à manquer, l’être humain s’atrophie ou se détruit.

De même que nous devons habiter des espaces différents, il nous faut apprendre à vivre dans des temporalités différentes. L’enfant qui vit dans un éternel présent, bondissant à la moindre insatisfaction, exigeant tout, tout de suite, n’a pas pu échapper au temps de la toute-puissance de ses premiers mois de vie pour entrer en relation avec les autres et avec le monde.  Or, l’intelligence vient dans le sursis, « dans la capacité à différer l’acte, à s’imposer un questionnement, à se mettre en quête d’informations et de ressources, à imaginer différents scénarios, à choisir entre plusieurs stratégies possibles »[1]. L’enfant a besoin de ce temps.

Découragement : perdre sa force d’âme, ne plus avoir le désir ou l’envie mais aussi reculer devant l’action et fuir devant le danger

Éducateurs et éducatrices, enseignantes et enseignants sont sommés d’accompagner les enfants vers la culture et la liberté, au point que c’est toujours d’eux qu’on attend le salut. Mais ils n’en ont la possibilité que sur des temps relativement courts et restent largement tributaires des environnements familiaux de chaque enfant, des situations sociales et des influences médiatiques. Les professionnels sont exposés au découragement car quoiqu’ils fassent, ils ne peuvent jamais décider à la place de l’autre, que ce soit de grandir ou d’apprendre. On ne peut commander au désir et à la volonté de l’enfant qui nous est confié. Épuisés par notre impuissance. Et toujours obligés d’imaginer en permanence de nouvelles situations et conditions, enjoints de rechercher de nouvelles ressources car la question reste vive. Vouloir éduquer, « c’est rendre possible l’improbable »[2]. Ambition nécessaire qui, en raison même de la contradiction qu’elle porte, ne peut éviter les trous d’air du découragement.

Dépistage

Un chapitre très complet avec cette citation de Fernand Deligny qui écrivait en 1949 : « Si l’éducateur, sous prétexte de ne pas perdre du temps, refuse de raconter des histoires aux enfants, de leur parler de ce qui compte pour eux, de ce dont ils ont peur, du désir ou du sexe, il y aura toujours des commerçants prêts à le faire, et la surenchère commerciale saura jouer de toutes les attirances, les mélanger pour ne pas rater la vente. Les gosses se précipiteront sur ce brouet, pendant que des milliers d’éducateurs maladroits ou insuffisants négligeront de satisfaire les besoins fondamentaux des enfants de notre temps »[3].

Télécommande

Pouvoir changer de chaine ou voir son attention renouvelée à chaque instant en restant sur la même chaine contribue à la désintégration de l’attention, encourageant l’esprit à la dispersion et le sujet à l’agitation permanente. C’est être sous l’emprise complète de ses pulsions, le tout, tout de suite, sans délai. Or, sortir de l’infantile, c’est ne pas satisfaire le plaisir immédiat pour trouver, au-delà de l’inévitable frustration, une satisfaction plus durable, inscrite dans un projet, pouvant être verbalisé, symbolisé et partagé.

Ceci suppose une autorité qui n’impose pas la renonciation pure et simple de la pulsion mais qui propose un moment pour s’interroger avant d’agir, pour suspendre l’acte afin d’anticiper mentalement les conséquences possibles sur soi et sur les autres. Une autorité qui autorise donc et permet autre chose. Il y a tout un travail pédagogique par lequel l’enfant éprouve la résistance lui imposant de prendre en compte la volonté de l’autre et de chercher dans la difficulté et les conflits ce qui peut faire tenir ensemble un collectif solidaire. Il s’agit d’une part de cohabiter pacifiquement dans un même espace-temps de telle manière que les personnes puissent se parler et d’autre part de faire société ou collectif où chacun et chacune pourra avoir une place pourvu qu’il et elle renonce à avoir toute la place.

Utopie : mot renvoyant à deux significations : lieu qui n’existe pas / lieu de bonheur

Deux dérives menacent l’éducation : la tentation du spontanéisme vitaliste qui prône l’abstention pédagogique au nom du respect absolu de l’enfant et la tentation du dressage avec sa volonté de maitrise. Éduquer est un travail difficile mais essentiel d’accompagnement vers la liberté.

Les utopies vitalistes exposent l’enfant à la déprivation culturelle et renforcent les inégalités car on ne peut ni désirer ni explorer ce dont on ignore l’existence. Privés de régulation par un adulte, les groupes d’enfants se répartissent spontanément en concepteurs, exécutants, chômeurs et gêneurs. Ces utopies ignorent les dynamiques relationnelles, les phénomènes d’emprise (l’enfant est soumis à la tyrannie de la majorité de son groupe). Elles ne veulent pas contraindre mais elles séduisent. Elles opposent, de manière absurde, les contraintes et la liberté alors qu’il existe des contraintes fécondes permettant à un enfant de passer du réflexe à la réflexivité et lui donnant ainsi les moyens de se dépasser. Penser par soi-même et s’associer avec les autres pour tenter de construire du commun sont les deux conditions de toute démocratie.

Et tant d’autres mots surprenants dans ce dictionnaire que Philippe Meirieu va enrichir en mettant régulièrement à disposition de nouveaux articles.

 

[1] Meirieu, P. (2021),  Dictionnaire inattendu de pédagogie, Paris, ESF Sciences humaines, 71.

[2] Idem, p.142

[3] Idem, p.162, tiré de Deligny, F. (1949), Les enfants ont des oreilles, Paris, Le Charbon rouge

 

Visionnez la conférence que Philippe Meirieu a donnée dans le cadre du Forum de l’éducation de l’enfance organisé par l’esede, sur le thème de « Peut-on éduquer à la sagesse ? »