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Politique et société

Des enfants mutants ? Quelques repères pour penser les questions d’autorité

Les enfants actuels montrent une nouvelle forme d’intelligence et de sensibilité, un développement psychique et relationnel très différent de celui de la génération précédente. Les valeurs qui les sous-tendent heurtent les nôtres, à tel point qu’au lieu de les accueillir dans cette différence, nous exerçons sur eux une violence destructrice.

Quand Jean-Paul Gaillard [1] parle des enfants et de celles et ceux qui s’en occupent, il est inquiet et optimiste.

Inquiet car dès l’instant où un éducateur, une éducatrice agit à partir des modes de société du 20ème siècle, il est dans un malentendu fondamental avec les enfants et les codes d’aujourd’hui. La méconnaissance de cette nouvelle forme sociétale du 21ème siècle fait de nous les adultes des co-auteurs de violences parfaitement évitables. Notre incompréhension de ce qui organise ce monde naissant génère de multiples conflits car nous nous sentons attaqués dans nos identités et nos convictions. Notre problème vient aussi du fait que nous ne nous voyons pas nous comporter et quand nous ne comprenons pas une réaction à notre habitude à exiger, nous avons tendance à la cataloguer comme quelque chose d’anormal (c’est la question qui est posée à la conseillère du CREDE sous forme de : avez-vous un livre sur les enfants qui n’arrêtent pas de provoquer, qui ne respectent pas les règles, qui disent des gros mots, qui nous testent, etc. ?).

Or cette grande mutation sociétale refaçonne les rituels d’interaction antérieurs, c’est-à-dire la manière dont les émotions s’expriment, la façon de percevoir, la façon de se présenter, le rapport à soi, à l’autre, au savoir et aux objets. Elle redéfinit aussi les espaces symboliques, ce qu’est l’autorité, sa forme, ce que sont les limites à l’action, ce qu’est la hiérarchie et la manière dont elle fonctionne [2].

Les transformations au niveau de la hiérarchie et de l’autorité se conjuguent à une transformation de ce qu’on appelle « le cadre » ou l’ancien programme éducatif. Celui-ci, en mode hiérarchie verticale du « moi je sais, toi, tu fais ce que je dis » est composé des actions successives suivantes : inclusion – interdits – soumission – confrontation – punition – détachement – commande – silence – injonction à ne pas penser. Alors que le nouveau cadre, de mode horizontal, se construit de l’enchainement actionnel suivant : accueil – protection – rassurance – contenance – attachement – conversation – négociation – tolérance – injonction à penser.

Passer de l’un à l’autre est un défi de taille et la question à se poser est « est-ce que nos lieux s’organisent de façon dictatoriale ou démocratique ? »

Rappelons-nous, avec Roland Gori [3], que dans une démocratie, on ne connaît pas la décision finale au début. Il faut confronter les arguments, les idées conflictuelles puis, au fil des échanges, surgit une décision à laquelle tout le monde adhère. On est loin de notre système actuel fait d’opinions et d’experts.

Pour Jean-Paul Gaillard, c’est à nous d’aller vers les enfants pour les aider à la construction d’une éthique, c’est-à-dire à réfléchir sur leurs actions et les résultats de leurs actions. À nous de les aider à se poser les questions nécessaires, sans répondre à leur place tout en leur fournissant les outils logiques sans lesquels une éthique suffisamment bonne est impossible.

[1] Article à propos du livre de J.-P. Gaillard, Enfants et adolescents en mutation. Mode d’emploi pour les parents, éducateurs, enseignants et thérapeutes, Paris, ESF 2016

[2] J.-P. Gaillard, actes du colloque « Innovation et prise de risques à l’épreuve des représentations sociétales. L’évolution des besoins de la jeunesse. Accueillir et accompagner nos « mutants » ordinaires », Synergie Enfance 34, Montpellier, 2016

[3] Gori, R. (2014), Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? Paris, Les liens qui libèrent