D’après l’article 24 de la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, les enfants ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. La santé mentale constitue une part essentielle de la santé et ne se résume pas à la simple absence de troubles psychiques.
Pour savoir de quoi on parle, c’est la définition de l’OMS (organisation mondiale de la santé) qui est à l’ordre du jour : « un état de bien-être mental qui permet à une personne de penser, sentir et agir de façon à ce qu’elle puisse surmonter les difficultés normales de la vie, de réaliser son plein potentiel, d’apprendre ou de travailler de manière productive et de contribuer à la vie de la société. » [1]
Une définition qui, selon les mots d’Angélique Mounier-Kuhn, « met dans le même sac syndrome psychiatrique et problèmes comportementaux, performance au travail et développement personnel… une vision dont le propos s’interroge sur les moyens d’améliorer la productivité des individus érigée en critère de santé ou d’accomplissement de soi… » [2].
C’est à la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse – CFEJ – que l’on doit une publication très intéressante au sujet de la santé mentale des enfants et des jeunes [3]. S’appuyant sur de nombreuses études internationales et sur une enquête d’Addiction Suisse, elle décrit la problématique et donne des recommandations qui sont à même de nourrir la réflexion des équipes du champ parascolaire.
Et il n’est pas question de « résilience » dans ce rapport. Ce mot mis à toutes les sauces et dont le flou entoure la définition a été popularisé en France par les travaux de Boris Cyrulnik qui la définit ainsi: la capacité à réussir à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative [4].
Comme le précise Evelyne Pieller dans son article « une bien pesante résilience [5] », elle s’appliquerait de façon équivoque à l’individu et au collectif, comme si les chocs intimes et les crises sociales étaient superposables. C’est autre chose que le courage, la chance, l’entraide, la lutte et tous les éléments qui permettent de s’en sortir mais qui ne se réfèrent pas à la psychologie et à un processus mental qui vous sauverait et vous recréerait. La résilience, c’est la célébration de la magie de nos ressources qui maquille « l’adaptation permanente du sujet au détriment de la remise en cause des conditions de sa souffrance », comme le formule Thierry Ribault [6]. Un thème en accord avec l’air du temps qui invite chacun·e à se considérer comme un capital à faire fructifier. Reconnaitre et transformer ses « fragilités » est vu comme la solution pour surmonter les temps difficiles. Et tant pis pour celles et ceux qui tardent à se relever et s’en sentent forcément coupables !
Le rapport de la Commission fédérale à propos de la santé mentale des enfants et des jeunes propose une autre lecture de la problématique. Le risque d’apparition et d’évolution de problèmes de santé mentale est étroitement lié à des facteurs sociaux et environnementaux. C’est sur ces éléments qu’il convient alors d’agir. D’autant plus que seule une faible proportion des personnes souffrant de troubles psychiques recherchent un soutien formel, c’est-à-dire auprès d’un ou d’une spécialiste de la prise en charge psychologique, psychiatrique ou de médecine généraliste [7].
Actuellement, un nombre significatif de jeunes ne trouve pas à temps auprès des professionnel·les le soutien dont ils ou elles ont besoin. Mais améliorer l’accès et le volume de la prise en charge semble insuffisant, du fait du rôle déterminant du contexte social dans les troubles psychiques. Par conséquent, pour réduire de manière significative les atteintes à la santé liées à des troubles psychiques, il faut impérativement agir sur les conditions sociales pertinentes. (CFEJ, 2024)
Rappelons que les statistiques établissent entre 13 et 20 % la fréquence des troubles psychiques chez les enfants et les jeunes, tandis que près d’un quart de cette même population présente, chaque année, des symptômes légers d’une affection psychique qui ne remplissent pas tous les critères pour le diagnostic d’un trouble psychique.
Ainsi, les enfants et les jeunes issus de familles au statut socio-économique faible présentent plus de symptômes et sont plus à risque de développer des troubles psychiques que les enfants et les jeunes issus des classes moyenne et supérieure. En effet, les parents des classes plus basses disposent de moins de temps et d’autres ressources matérielles ou symboliques, ce qui expose indirectement leurs enfants à davantage de facteurs de stress chroniques (par ex. une alimentation malsaine ou insuffisante), à des expériences traumatisantes (par ex. l’exposition à la violence) et à une insécurité générale.
Les enfants grandissant dans des familles pauvres ressentent plus souvent un sentiment d’isolement et de honte en raison de la stigmatisation liée à la pauvreté, ils ont rarement l’occasion de parler de leurs difficultés à quelqu’un et cachent ou minimisent parfois leurs besoins pour protéger leurs parents (ATD Quart Monde Suisse, 2023). On sait aussi que la solitude et l’isolement peuvent avoir des effets à long terme sur la santé et entraîner ainsi des troubles psychiques.
Bien que la violence soit présente dans toutes les classes sociales et que la pauvreté ne soit qu’un des facteurs de risque de troubles, il semble important d’apporter un soutien précoce aux familles à faibles revenus. Des études cliniques [8] ont déjà montré des résultats très prometteurs en établissant qu’une aide financière versée aux familles à faible revenu a un effet positif sur l’évolution de la santé mentale des enfants.
On admet généralement que l’expérience des inégalités sociales, de l’exclusion et de l’isolement social dû au racisme et à la discrimination sont à l’origine de troubles psychiques. En outre, l’expérience de l’exclusion sociale affecte tout particulièrement les jeunes.
En revanche, lorsqu’un jeune a un sentiment d’appartenance à un groupe, qu’il a une possibilité de participation sociale, qu’il se sent soutenu par ses parents ou par d’autres personnes importantes, cela a un effet protecteur sur sa santé mentale et réduit les risques de troubles psychiques. CFEJ 2024
Les expériences traumatiques de l’enfance, les conflits entre les parents, le harcèlement, l’expérience de la discrimination ou la perte d’identité culturelle (comme dans le cas d’une migration forcée) sont autant de facteurs qui augmentent le risque de développer plus tard des troubles psychiques. Les observations faites sur l’ensemble de la population suisse vont dans ce sens puisque les personnes issues de la migration (première génération) en provenance d’Europe de l’est, du sud-est ou du sud-ouest se sentent plus fortement touchées dans leur santé mentale que les personnes n’ayant pas connu la migration [9].
Il est vraisemblable aussi que la pression scolaire ou professionnelle contribue à la détérioration de la santé des jeunes. Dans ce contexte d’avenir incertain, les attentes de la société peuvent encore renforcer cette pression.
À propos des difficultés vécues par les enfants dans notre civilisation du bien-être, de l’autonomie et de l’individualisme, il est intéressant de faire un détour par le propos d’Alain Ehrenberg [10] qui constate que les problèmes qui font l’objet de toutes les préoccupations sont les troubles du comportement. Il mentionne les conduites d’opposition pouvant conduire à la violence, voire à la délinquance, et l’instabilité psychomotrice, faite d’agitation et de manque d’attention. Ces troubles se développent chez l’enfant en partie à cause de l’affaiblissement des interdits, de la tendance à l’évitement du conflit, des changements dans la famille et dans les système de parenté et de parentalités.
L’individualisme s’accompagne de modifications dans la régulation des comportements. Un double mouvement s’opère : une diminution des contrôles sociaux et, en même temps, une augmentation de ces mêmes contrôles sous la forme d’auto-contrôles émotionnels pour s’accomplir dans la vie. Avec ce principe d’autonomie, l’enfant se développe en s’affranchissant de la contrainte extérieure. Ce processus impose de hautes exigences à l’appareil de contrôle de soi.
On réalise bien que les déterminants de la santé sont multiples et se situent au carrefour de l’individu, de son entourage et de la société dans laquelle il évolue.
Le rapport de la Commission fédérale définit la promotion de la santé mentale auprès des enfants et des jeunes. Il s’agit d’interventions qui visent à renforcer le bien-être, à favoriser la capacité à atteindre des objectifs importants en matière de développement et à acquérir des compétences permettant de gérer au mieux le stress et les adversités de la vie. Concrètement, ces mesures permettent par exemple d’améliorer un climat scolaire ou d’étoffer l’offre de loisirs favorisant les interactions sociales.
Il propose différentes recommandations dont certaines font déjà partie du travail socio-éducatif réalisé dans les accueils parascolaires:
– Renforcer les liens sociaux et l’appartenance au groupe. Pour lutter contre l’isolement et le sentiment de discrimination, il est important de favoriser la participation et l’inclusion de tous les enfants et les jeunes aux activités de loisirs favorisant les liens sociaux, la collaboration et l’esprit d’équipe. Cela peut se faire au travers de soutiens aux organismes proposant ces activités et par la mise à disposition d’aides financières pour les familles en ayant besoin. Les programmes locaux favorisant les comportements prosociaux et les réseaux de quartier doivent également être encouragés et soutenus.
– Accompagner la communication sur les sujets anxiogènes. Le bien-être des enfants et des jeunes est impacté par la crise climatique, par les guerres et les pandémies. Les informations en continu et sans filtre auxquelles les jeunes sont exposés contribuent à générer de l’anxiété. Si autorités, politiques et médias ont la responsabilité d’accompagner ces derniers dans la réception de ces informations, rajoutons que les professionnel·les ont aussi un mot à dire sur le sujet.
– Alléger la pression à la performance, réduire les facteurs de stress et favoriser le jeu libre. Pour améliorer leur bien-être, les enfants et les jeunes doivent être soumis à moins de pression scolaire et de pression à la performance. Les mesures à prendre devraient alléger la charge de travail scolaire et diminuer le cumul d’activités de loisirs organisées. Rappelons le droit au repos mentionné par l’article 31 de la Convention des droits de l’enfant (CDE). Le jeu libre, qui a un effet positif sur le niveau de stress des enfants a été fortement réduit durant ces dernières années. Afin de le favoriser, il est important d’accorder aux plus jeunes suffisamment de temps non planifié et d’adapter l’aménagement des quartiers à leurs besoins (p.ex. zones de rencontre, zones de jeux et espaces verts en libre accès, etc.), en veillant à favoriser l’exploration et l’apprentissage de la gestion du risque.
Et sans pour autant conclure, le fait de se sentir entendu·e et de contribuer à façonner son environnement contribue au bien-être. C’est pourquoi la participation des enfants et des jeunes doit être renforcée, particulièrement au niveau local.
[1] OMS, 2001, 2022 ; Manwell et al., 2015 ; Fusar-Poli et al., 2020, cité in « Promouvoir la santé mentale des enfants et des jeunes sur le long terme ». Position de la CFEJ. Berne, 2024.
[2] Mounier-Kuhn, A. (2025). Une grande cause perdue ? In : Santé mentale. Symptômes d’un monde fêlé. Le monde diplomatique. Manière de voir, n° 203, p.4.
[3] Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (2024). Promouvoir la santé mentale des enfants et des jeunes sur le long terme. Position de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ).
[4] Cyrulnik, B. (1999). Un merveilleux malheur, Odile Jacob.
[5] Pieller, E. (2025). Une bien pesante résilience. In : Santé mentale. Symptômes d’un monde fêlé. Le monde diplomatique. Manière de voir, n° 203, pp. 7-8.
[6] Ribault, T. (2021). Contre la résilience. À Fukushima et ailleurs, L’Échappée, cité in : Santé mentale. Symptômes d’un monde fêlé. Le monde diplomatique. Manière de voir, n° 203, p.7.
[8] Ridley et al., (2020) ; Zimmerman et al., (2021) ; Troller-Renfree et al., (2022), cités in : Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (2024). Promouvoir la santé mentale des enfants et des jeunes sur le long terme. Position de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ).
[9] Peter et al. (2023), cité in Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (2024). Promouvoir la santé mentale des enfants et des jeunes sur le long terme. Position de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ).
[10] Ehrenberg, A. (2024). Un potentiel d’avenir. Trois figures de l’enfant à problèmes. In : Trouble dans la santé mentale, n° 516, pp. 43-50.