La question du partenariat avec les familles occupe une place centrale dans les préoccupations des professionnel·les de la petite enfance.
Ce thème est au cœur du travail de Stéphanie Garcia et de ses collègues [1] qui proposent une exploration fine des interactions entre parents et éducateur·ices, notamment lors des départs et des arrivées des enfants. Ces moments d’échanges qui se répètent quotidiennement ont beau être souvent invisibles, ils n’en sont pas moins essentiels. En effet, ce qui se passe « sur le pas de la porte » [2] s’avère particulièrement riche d’interactions. Or, ces dernières sont la base sur laquelle on peut construire un lien de confiance entre les familles et les équipes éducatives.
Au travers d’une étude de cas d’un lieu d’accueil genevois, la recherche de Stéphanie Garcia et al. se base sur l’observation de terrain. En effet, la chercheuse met en lumière les compétences mobilisées par les professionnel·les au cours de ces échanges. Ceux-ci relèvent à la fois de l’interaction verbale et non verbale ainsi que de la gestion de la multi-activité au sein de l’environnement d’accueil.
L’analyse révèle deux dimensions principales :
– La communication : les professionnel·les organisent les tours de parole, choisissent des registres de langage adaptés, construisent des rôles dans l’échange et orientent l’attention des différent·es participant·es (y compris les enfants).
– Le multitasking (multi-activité) : elles et ils accueillent l’enfant, répondent au(x) parent(s), veillent à la sécurité d’un autre enfant et poursuivent l’échange en cours. Cette coordination demande une mobilisation constante des ressources et des stratégies professionnelles.
Les résultats de l’étude montrent que ces moments d’échanges sont très complexes et que les professionnel·les y déploient des compétences interactionnelles spécifiques. Elles et ils doivent s’adresser simultanément aux familles et aux enfants, en ajustant leur communication à chacun·e. Cela implique de considérer tour à tour les personnes présentes comme des interlocuteur·rices actif·ves ou comme des témoins de l’échange.
De plus, les professionnel·les jouent un rôle central dans la manière dont les cadres de participation se construisent. Par leurs choix langagiers, leur posture et leur attention, elles et ils attribuent à chaque participant·e une place particulière dans l’échange.
Cette capacité à gérer les interactions et la multiactivité représente une compétence professionnelle à part entière. Elle nécessite de l’écoute, de la souplesse, une attention fine aux situations et une posture réflexive constante.
On voit donc ici que le partenariat ne se limite pas aux projets formels avec les familles ou aux réunions institutionnelles. Il se construit dans les micro-moments du quotidien, à travers des interactions répétées, parfois brèves, mais significatives.
La recherche que nous exposons dans ces lignes nous conduit, par ailleurs, à poser une question pas si anodine qu’elle n’y paraît : pourquoi s’intéresser à la recherche en petite enfance ?
La recherche dans le champ de la petite enfance ne se limite pas à des productions académiques complexes et difficilement accessibles, que ce soit à cause de leur vocabulaire ou d’une certaine déconnexion avec le travail de terrain due aux exigences scientifiques. Elle constitue aussi un outil d’affirmation professionnelle, un levier de reconnaissance des savoirs issus de la pratique et un moyen de mieux comprendre les enjeux éducatifs dans leurs dimensions sociale, politique et institutionnelle.
Lire ou participer à des recherches permet :
L’étude de Stéphanie Garcia et al. s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Elle montre comment les savoirs du terrain, forgés dans les interactions quotidiennes, peuvent dialoguer avec les savoirs scientifiques. Mis sur le devant de la scène, les résultats permettent de mieux comprendre les effets des pratiques professionnelles sur la qualité de l’accueil et sur la coéducation entre les familles et les structures d’accueil.
Bibliographie :
[1] Garcia, S. et al. (2022). Travailler « sur le pas de la porte ». Revue d’anthropologie des connaissances, 16 (1).
[2] Chatelain-Gobron, S. (2014). Les retransmissions journalières : de la banalité du quotidien à la complexité de la rencontre. Dans Mille et un bébés, 136 (pp. 143-164). Érès.
Pour aller plus loin :
Bouve, C. (2007). La coopération parents-professionnels, pratiques d’hier, figures d’aujourd’hui. In M.-P. Thollon-Behar (Éd.), Parents, professionnels, comment éduquer ensemble un petit enfant ? (pp. 53–80). Érès.
Brougère, G. (Dir.). (2010). Parents, pratiques et savoirs au préscolaire. Peter Lang.
Jésu, F. (2010). Principes et enjeux démocratiques de la coéducation : L’exemple de l’accueil de la petite enfance et notamment des conseils de crèche. In S. Rayna, M.-N. Rubio, & H. Scheu (Éds.), Parents-professionnels : La coéducation en questions (pp. 37–48). Érès.
Rayna, S., & Bouve, C. (2013). Petite enfance et participation : une approche démocratique de l’accueil. Érès.
Rayna, S., Bouve, C., & Moisset, P. (2009). Coéducation et partenariat avec les familles : Enjeux et pratiques. Revue française de pédagogie.