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Jeu à l’extérieur, enfin du risque !

Dans notre culture, parents, adultes et professionnel·les surprotègent les enfants par rapport aux dangers potentiels des jeux. Obsédés par la sécurité à tout prix, ils les privent d’occasions qui leur sont nécessaires pour développer la confiance en eux, affronter dangers et défis de l’existence et réguler leurs émotions. Favoriser les jeux risqués en plein air et en collectivité, un antidote au stress, à l’anxiété et à la sédentarité !

Lorsqu’ils se dépensent dans des jeux à l’extérieur, les enfants se confrontent volontairement à des situations qui les effraient modérément et apprennent ainsi à maîtriser leurs mouvements, leur corps et leurs peurs. Ils s’exercent à négocier avec les autres, à leur faire plaisir, à gérer et surmonter l’angoisse engendrée par les conflits. S’essayant à de nombreuses activités, les enfants y découvrent aussi ce qu’ils aiment, leurs talents et leurs préférences.

Le jeu risqué désigne des formes passionnantes et stimulantes de jeu libre dont l’issue est incertaine et qui comporte une possibilité de blessure physique. Il est surtout associé à des activités extérieures ou en pleine nature, en raison des nombreuses occasions créatives du jeu dans ces contextes. Malheureusement, depuis plusieurs années, le jeu libre extérieur a été peu à peu remplacé par des activités planifiées et structurées.

Des analyses systématiques axées sur l’influence de la nature et du jeu extérieur sur la santé de l’enfant ont établi des relations positives avec l’activité physique, le bien-être et la diminution de la perception du stress.
Selon une enquête de Pro Juventute, en Suisse, un tiers (33%) des enfants et des jeunes interrogés présentaient des symptômes élevés de stress. Ces enfants sont bien plus anxieux que les autres, manquent d’assurance et ont un bien-être subjectif plus faible. Ils passent aussi moins de temps avec leurs ami·es .

Le niveau de stress augmente avec l’âge. Alors que 26% des enfants jusqu’à 11 ans sont stressés, 45% des enfants de 14 ans et plus le sont, soit près de la moitié. Le niveau de stress des filles est significativement plus élevé que celui des garçons.

« L’enquête montre que plus les enfants et les jeunes disposent de temps pour se détendre, rencontrer des ami·es et s’adonner à des loisirs tels que le sport ou la musique, moins ils sont stressés. Dans le même temps, plus ils consacrent de temps aux devoirs et aux études et plus ils passent de temps sur leur smartphone, devant la télévision ou des jeux électroniques, plus leur niveau de stress est élevé. Il est à noter que le sentiment de stress est significativement plus élevé lorsque les enfants et les jeunes s’ennuient souvent [1] ».

Étant donné les avantages de la prise de risque liée au jeu pour le développement des enfants, certains chercheurs et certaines chercheuses préconisent des règles de sécurité qui permettent d’éviter les graves blessures et les décès, tout en aidant les enfants à adopter des stratégies de gestion du risque essentielles à une croissance active et en santé. [2]

Un risque est observé dans des situations où l’enfant peut reconnaître et évaluer la difficulté, puis opter pour un plan d’action selon ses préférences personnelles ainsi que la perception de ses propres habiletés. Par exemple, jusqu’à quelle hauteur il grimpera dans une structure ou à quelle vitesse il dévalera une pente.

Un danger se pose dans des situations où le risque de blessure dépasse la capacité de l’enfant à le percevoir comme tel ou à le gérer. Par exemple, un toboggan mal ancré peut basculer sous le poids d’un enfant ou une branche d’arbre pourrie peut se casser.

La prise de risque se définit comme « une décision impliquant un choix qui se caractérise par un certain degré d’incertitude quant aux possibilités d’échec ou de réussite. À chaque possibilité est associée une utilité, un bénéfice du risque [3] ».

Des nuances sont à apporter en fonction de l’étape de développement de l’enfant, de ses aptitudes individuelles et des contextes sociaux et médicaux. Il est aussi nécessaire de promouvoir des échanges ouverts et constructifs avec les familles des enfants à propos des prises de risque et de les informer des stratégies pour assurer la « sécurité nécessaire » des enfants plutôt que leur « sécurité à tout prix ». Cela contribue à la diminution des craintes des parents et, pour l’enfant, à ne plus dépendre du regard d’un autre pour savoir ce qui est dangereux ou ce qui ne l’est pas et donc d’avoir des limites internes.

Le jeu à l’aide d’éléments naturels et mobiles (du gravier, du sable, des branches, etc.) ou de matériaux manufacturés (des pneus, des caisses, etc. [4]) que les enfants peuvent utiliser de diverses façons, sans orientation précise, favorise également de riches occasions de jeu risqué.
Les structures basses pour tous les groupes d’âge et les surfaces non naturelles sous les structures de jeu (par ex. des surfaces synthétiques plutôt que du gazon ou du sable) peuvent être associées à une utilisation inappropriée de l’équipement. En effet, l’enfant pourrait prendre des risques incontrôlés en pensant que la qualité du sol l’empêchera de se blesser.

Le rôle des professionnel·les consiste à déterminer quels sont les dangers et à les supprimer ou à les atténuer, puis à assurer une supervision appropriée (et parfois la juger inutile) en fonction du type d’activité et du degré d’habileté, de la personnalité et de l’étape de développement des enfants. Le degré d’autonomie est déterminé par ce que l’adulte connaît de ses habitudes de jeu et de ses capacités. Les professionnel·les devraient toujours être en mesure d’intervenir lorsque le jeu de l’enfant se met à représenter un danger pour lui-même ou pour autrui.

Les catégories de jeu risqué, accompagnées d’exemples

  • Jeu en hauteur
    Grimper, sauter, être suspendu·e en hauteur
  • Jeu à grande vitesse
    Faire du vélo à grande vitesse ou de la luge, glisser, courir
  • Jeu avec des outils
    Participer à des activités supervisées à l’aide d’une hache, d’une scie, d’un couteau, d’un marteau ou de cordes (p. ex., construire une cabane ou tailler du bois)
  • Jeu à proximité d’éléments dangereux
    Jouer près du feu ou de l’eau
  • Jeu turbulent et désorganisé
    Faire de la lutte, jouer à se bagarrer, faire de l’escrime avec des bâtons
  • Jeu comportant un risque de disparaître de la vue ou de se perdre
    Explorer les aires de jeu, les quartiers ou les bois sans la supervision d’un adulte ou, chez les jeunes enfants, sous une supervision limitée (p. ex., se cacher derrière des buissons)
  • Jeu comportant des chocs
    Percuter quelque chose ou quelqu’un, peut-être à répétition et pour le plaisir
  • Jeu par procuration
    Éprouver le frisson de regarder d’autres enfants (souvent plus âgés) se livrer à un jeu risqué

Tiré de : Le développement sain de l’enfant par le jeu risqué extérieur : un équilibre à trouver avec la prévention des blessures

Le jeu risqué peut également contribuer à moduler le système immunitaire. Selon une étude publiée en 2020, l’ajout de plantes et d’éléments naturels ou mobiles (des bûches, des barils, des pneus, etc.) sur le terrain d’un lieu d’accueil pour inciter les enfants à creuser et à grimper a accru la diversité bactérienne de leur peau et modifié leur microbiote intestinal.

Le fait de se livrer à du jeu risqué accroît les habiletés socioaffectives et le sentiment d’appartenance. La capacité de communiquer, de collaborer et de faire des compromis avec autrui s’améliore lorsque l’enfant peut tester et repousser ses propres limites. Le jeu risqué permet d’exposer l’enfant à des situations qui lui font peur et d’ainsi expérimenter l’incertitude, réduisant le risque de forte anxiété chez l’enfant.
Lorsque les enfants sont sous supervision, on les entend souvent se faire prévenir par des expressions comme « Fais attention », « Penses-tu que c’est une bonne idée? », « Ralentis » et « Pas trop haut ». Les enfants qui reçoivent des avertissements répétés finissent par comprendre « Tu ne me fais pas confiance » ou « Tu ne penses pas que j’en suis capable ». Ces mises en garde inoffensives, répétées souvent dans le temps, peuvent transmettre de la peur, même si le danger est minime voire inexistant. Par ailleurs, ces paroles n’aident pas l’enfant à gérer son jeu dans une situation risquée, ce qui peut nuire à la confiance envers ses propres habiletés et réduire l’attrait du jeu.

Attention aussi aux stéréotypes de genre [5]. Souvent, les filles ont moins de modèles qui les incitent à bouger et à prendre des risques, elles reçoivent moins d’appuis et d’encouragements à le faire des adultes qui les entourent.

Les professionnel·les doivent cheminer ensemble, à un rythme respectueux de tous, dans une démarche collective. Les parents sont des partenaires incontournables et il est important de travailler en concertation avec eux, sachant que certains, plus angoissés par le risque, auront besoin de plus de soutien que d’autres.

David Le Breton [6] affirme que notre société est hantée par le risque, car elle est d’abord une société d’individus les uns à côté des autres, qui se sentent menacés, isolés, fragiles dans un monde imprévisible.

Les enfants d’aujourd’hui, immobiles et infériorisés physiquement, témoignent à leur échelle de l’actuelle humanité assise qui caractérise nos sociétés. On a des assurances pour tout ce qui arrive. Or, la confrontation aux risques encourage la prise d’initiative, la curiosité, le rapport au monde, la remise en question : plus on le surprotège, plus l’enfant sera apeuré sans savoir franchir les difficultés.
« Le jeu, en plaçant les enfants dans des situations virtuelles de stress qui leur permettent de s’entraîner à les réguler, serait une vraie fabrique de résilience où tout en jouant, les enfants peuvent créer leur propre bien-être [7] ».

Le jeu à risque traduit une expérimentation de soi, un apprentissage sur sa vulnérabilité et un ajustement de son comportement à son égard. Le risque est inhérent à notre existence, le monde est devant nous.

 

[1]  Etude sur le stress de Pro Juventute : environ un tiers des enfants et des jeunes en Suisse sont stressés

[2] Beaulieu, E., Beno, S. (2024). Le développement sain de l’enfant par le jeu risqué extérieur : un équilibre à trouver avec la prévention des blessures. Société canadienne de pédiatrie

[3] TMVPA. (2021). Sécurité bien dosée, enfant comblé. Gouvernement du Québec. Ministère de l’éducation.

[4] Bonvin de Werra, J. (2020). Jouer pour vivre, nouvelles façons de jouer à l’extérieur avec du matériel de récupération. CREDE.

[5] TMVPA. (2021). Sécurité bien dosée, enfant comblé. Gouvernement du Québec. Ministère de l’éducation.

[6] Le Breton, D. (2024). Le risque. Conférence dans le cadre du colloque international :  Faire grandir les enfants. Quel rôle pour la culture (à partir de la 7e minute)

[7] Maison de la créativité. (2021). Analyse interdisciplinaire du jeu de l’enfant. Rendre au jeu sa liberté.