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Développement de l’enfant

Je m’ennuie, tu m’ennuies, on s’ennuie : valeur de l’ennui comme expérience d’autonomie et de connaissance de soi

Dans un contexte où l’enfant prime, celui-ci est porteur de toutes les espérances : il doit combler ses parents ou ses éducateurs et éducatrices. Réciproquement, ces derniers cherchent à ce qu’il ne manque de rien. Et on en vient malheureusement à manquer d’ennui. Plaidoyer pour un espace-temps démodé mais nécessaire !

Nous nous ennuyons à tous les âges de la vie. Mais l’ennui n’est pas à la mode à l’heure où il est bien vu d’être très actif, débordé, accaparé [1]. Paradoxalement, notre époque craint les enfants agités et indisciplinés. Elle craint aussi l’enfant qui s’ennuie puisqu’il est ainsi un opposant à cette vision que l’on a de lui, l’enfant motivé et discipliné.[2] C’est bien ennuyeux !

L’ennui semble avoir disparu de notre société numérique. Mais malgré le recours aux écrans, enfants et adolescent-e-s continuent à s’ennuyer. Tentative d’éclairage sur ce terme.

Selon Sophie Marinopoulos [3], nous sommes devenus des sujets surexcités. Notre époque nous comble d’objets. La vie se consomme dans une accélération qui nous donne le sentiment de courir après le temps. La société de consommation deviendrait-elle une société de saturation ? Les enfants aussi sont exposés aux dangers de la saturation : trop de présences, trop de demandes, trop d’attentes, trop de stimulations, etc. Pour Marie-Noëlle Tardy [4], l’ennui est un sentiment de démotivation, de désintéressement, d’une impression de vide. Dévalorisé dans notre culture de la réalisation de soi, il rime avec perte de temps. Il nous rappelle que nous sommes mortels.

Or l’ennui s’associe au manque et le manque produit de l’expérience et l’expérience permet une connaissance intime de soi. Lorsque l’enfant s’ennuie, il est à l’écoute de son monde intérieur, de ses envies, de ses goûts, ce qui lui permet de développer son monde imaginaire et sa créativité. Pour se sentit exister, il est nécessaire d’être à l’intérieur de soi, c’est-à-dire penser, imaginer, rêver, se raconter des histoires.[5]

Un enfant qui s’ennuie très souvent ne va pas pour autant très bien. Il faut faire la différence entre l’ennui constitutif, qui fait partie du développement psychoaffectif de l’enfant, de l’ennui pathologique, signe d’un renoncement au désir et d’une souffrance qui s’installe.[6] Le sens de l’ennui est à découvrir : tristesse, lassitude, besoin d’une personne bienveillante, sentiment d’abandon, dépression, etc.

S’arrêter à la plainte de l’enfant qui dit « je m’ennuie » en lui proposant de faire quelque chose, c’est ne pas croire en sa capacité à dépasser son sentiment de solitude. C’est mettre du plein à la place, en accentuant sa dépendance future. Si on refuse à l’enfant la possibilité de s’ennuyer, on le voue à des bombardements d’excitation qui empêcheront à plus ou moins long terme l’exercice du discernement. A trop le distraire de lui-même on ne lui laisse pas la possibilité de se nicher dans le monde. Lui permettre de traverser ces temps vides c’est lui offrir l’occasion de renoncer de dépendre de la toute-puissance d’un autre, toujours présent, consolateur et gratifiant ou toujours stimulant et excitant.

Les professionnel-e-s toujours actifs et imposant aux enfants une activité permanente ont-ils peur de s’ennuyer eux-mêmes ou d’être perçus comme tels ? Veulent-ils éviter de ressentir ce sentiment inconfortable de ne pouvoir combler l’enfant en toute situation ? « La relation éducative demande que les professionnels acceptent de ne pas être à l’origine de toutes les activités ainsi que l’existence de temps durant lesquels les enfants ne font « rien ». [7]

Si l’enfant s’ennuie, c’est donc son problème !?

 

[1] Duverger, P. (2016), Ennui ? Quel ennui ?!, In : Enfances et Psy, no 70, pp. 55-63

[2] Douville, O. (2016), La force de l’ennui, ici ou là, In : Enfances et Psy, no 70, pp. 63-71

[3] Marinopoulos, S. (2017),  Les trésors de l’ennui, Bruxelles : Fabert

[4] Tardy, M.- N. (2016), L’ennui des enfants à haut potentiel intellectuel et surdoués, In : Enfances et Psy, no 70, pp. 101-108

[5] Teboul, R. (2005), Plaidoyer pour l’ennui, In : Revue du GRAPE, n° 60, pp. 25-31

[6] Olivier Douville, ibid.

[7] Lechevallier, I., Matrand, M., Murcier, N. (2005), Le refus de l’ennui : une défense contre l’impossibilité de combler l’autre, in : Revue du GRAPE, no 60, pp.43-48