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Politique et société

Enfance et inégalités sociales : impacts sur le développement de l’enfant

De Martine Court
Les enfants ne sont pas égaux socialement et leurs conditions de vie ont un fort impact sur leur développement global. Quelles sont ces différences et leurs conséquences que les études sur l’enfant commencent à mettre en évidence ?

Martine Court, maître de conférence en sociologie, synthétise dans cet ouvrage les recherches sur les cultures et les vies sociales propres à l’enfance. Elle questionne le rôle que joue l’enfance dans la reproduction des inégalités et dans l’apprentissage des rapports de domination, de classe et de genre. Elle met en évidence que les enfants ont des chances de vie très inégales en fonction du milieu social dans lequel ils naissent. Dans nos sociétés, ces inégalités entre enfants ont un caractère « impensable » dans le sens où elles apparaissent inacceptables et aussi parce qu’elles sont difficiles à penser. En raison de la domination qu’exerce la psychologie sur l’étude des enfants depuis la fin du XIX siècle, nos sociétés se sont représenté l’enfance comme une période d’apprentissages universels (celui de la motricité et de la parole) étrangers aux effets de la différence sociale. C’est cette conception de l’enfance en apesanteur sociale qui constitue un obstacle à la mise en évidence des inégalités qui existent entre les enfants en fonction de leur appartenance sociale. Or les vies des enfants sont « lestées », structurées par les appartenances de classe. Les enfants font précocement l’expérience des hiérarchies économiques, culturelles et symboliques qui structurent le monde social et ils apprennent très tôt à s’y situer.

S’appuyant sur de nombreuses enquêtes, Martine Court relève que ces inégalités sont multiformes et cumulatives, tendant à se renforcer les unes les autres. Quelques exemples :

–       Les conditions de logement sont un facteur d’isolement quand il est impossible de recevoir des camarades chez soi vu la promiscuité du lieu et, en retour, d’accepter les invitations de ces derniers. Alors qu’habiter dans un logement confortable dans un quartier à forte sélectivité sociale assure un entre soi élevé, surtout à l’école, et participe de façon précoce à l’élaboration du sentiment d’appartenance à une élite.

–       Chez les enfants comme chez les adultes, les inégalités économiques s’inscrivent dans les corps : problèmes dentaires non soignés, troubles de la vision tardivement corrigés, problèmes de surpoids avec la stigmatisation qu’ils engendrent. La façon de nourrir les enfants varie selon les milieux, les contraintes budgétaires empêchant l’achat de denrées prescrites par la diététique et le désir d’intégration sociale des parents les poussant à acheter ce que leurs enfants aiment ou à les amener au fast-food, signant la victoire sur le manque et attestant de la participation à la société de consommation.
L’habillement est aussi le signe de stratégies de distinction.

–       Les loisirs sont socialement différenciés. Annette Lareau, citée par Martine Court, montre que dans les familles de classes moyennes et supérieures, les enfants cumulent plusieurs activités de loisirs encadrées (sport, musique, etc.) tandis que dans les classes populaires, les enfants passent l’essentiel de leur temps en compagnie d’autres enfants, avec peu d’activités encadrées. Les deux modèles éducatifs ne sont pas équivalents car si les enfants investis dans de multiples activités extrascolaires ne sont pas nécessairement plus heureux que les autres, ils sont en revanche plus avantagés car ces activités contribuent à la construction d’habitudes corporelles et mentales valorisées par l’école.

–       Les vacances et séjours à l’étranger ont souvent pour but de rendre visite à la famille et se déroulent donc dans les mêmes lieux, généralement situés dans des pays à bas niveau de vie pour les classes défavorisées. Tandis que les familles mieux dotées financièrement font des voyages touristiques variés, enrichissant le capital culturel des enfants et contribuant à leur faire éprouver la place qu’ils occupent dans la hiérarchie sociale.

Les processus de socialisation à travers lesquels les enfants construisent leur connaissance de la société n’ont pas beaucoup été étudiés. Cependant, les produits culturels destinés à la jeunesse offrent de nombreuses représentations des classes sociales. Les enfants saisissent aussi l’existence des hiérarchies à partir des « petites phrases » et des jugements formulés par les adultes, en percevant surtout le ton (méprisant, familier ou condescendant) sur lequel ils le disent. Plus implicitement, c’est en observant les adultes interagir (regards, postures, sentiments de gêne, de honte ou de confort, de fierté etc.) au quotidien avec des personnes aux statuts sociaux variés que les enfants apprennent à situer leur famille au sein de la société.

Dans cet ouvrage, les inégalités de genre sont aussi étudiées et font l’objet d’un chapitre du livre.

Court, M. (2017), Sociologie des enfants, Paris : La Découverte