« De travers », c’est l’aventure de Delta, une jeune chauve-souris, une parmi les autres mais sensible à la souffrance discrète de son ami Hypsi qui vole le ventre en l’air et de travers. Delta remarque que cette manière de faire a une grande influence sur les interactions qu’Hypsi entretient avec les membres de la société des chauves-souris. Moqueries, mépris, rejet envers l’autre différent. Réactions agressives, tristesse, solitude de celui qui est mis de côté.
Apprenant que son ami ne peut entrer dans une école à cause de sa particularité, alors qu’il a les compétences requises, Delta est déçue et furieuse de cette injustice. Pour chercher des réponses à ses questions, elle va entreprendre un voyage vers d’autres sociétés, celle des hirondelles, et celle des rates. Elle y est reçue de différentes façons. Elle aussi a des préjugés et prend la position de celle qui exclut. Elle vit tour à tour le rejet, l’humiliation mais aussi la solidarité, le soutien, l’amitié. Ce sont ses diverses rencontres qui l’amènent à comprendre comment se forment les inégalités et à envisager des pistes d’actions concrètes à développer quand elle sera de retour dans son pays.
De travers, c’est aussi l’œuvre d’un collectif [1] qui partage la conviction qu’il est possible et nécessaire de penser et d’agir localement, de là où nous sommes, sur les processus d’exclusion et de stigmatisation. Un collectif qui estime que nous sommes tous et toutes actrices de la construction des inégalités et que les enfants participent aussi, à leur mesure, à leur perpétuation.
D’où la création de cette histoire qui se veut le reflet de leur compréhension du fonctionnement et des conséquences des inégalités dans notre société. Les rapports sociaux sont complexes et composés de rapports de pouvoir. L’exclusion ne pourra jamais disparaitre. Même si l’heure est à l’inclusion, tout dispositif est exclusif et il reste important de connaitre ces processus d’exclusion et d’y travailler.
Une autre raison en est le constat qu’il existe peu de supports permettant de réfléchir de manière critique avec les enfants sur les différences et les rapports de pouvoir qui conduisent à la formation des inégalités. Des ressources existent sur le genre, la migration, les handicaps, le racisme, sous forme de littérature jeunesse et d’activités pédagogiques, « mais elles se limitent souvent à montrer que la différence est quelque chose à respecter, reconnaître voire célébrer, sans toutefois parvenir à traiter la manière dont les inégalités se forment, comment elles opèrent et quelles actions peuvent être envisagées afin de les combattre. Souvent aussi, ces ouvrages traitent d’une différence isolée, sans forcément mettre en évidence les liens et les solidarités possibles entre les individus et groupes porteurs de différences. »[2]
L’histoire est intense, écrite dans un style riche et soutenu car, de l’avis des autrices et des auteurs, la littérature jeunesse doit proposer un contenu ambitieux aux jeunes lectrices et lecteurs. Elle a aussi vocation d’être racontée pour être adaptée et modulée en fonction des enfants. Le texte est écrit au féminin générique. Cette forme est troublante et nous met, lecteur et lectrice, dans une situation étrange car inhabituelle. Elle a l’avantage de susciter des questions sur les liens entre les normes du langage (l’utilisation fréquente du masculin qui prime) et les normes sociales. Le texte et les images [3] sont complémentaires, les illustrations offrant des clés pour comprendre et interpréter l’histoire.
Ce récit met aussi en avant la force du collectif et du participatif. Toute seule, Delta n’a pas le pouvoir d’agir. Elle a besoin des autres. A son retour de voyage, elle n’a pas de solution toute faite. Elle mobilise les chauves-souris et invite les autres animaux rencontrés lors de son périple pour qu’ensemble, ils échangent et participent avec des propositions et des idées d’actions.
La fin de l’histoire est ouverte pour qu’on ne croie pas que le problème des inégalités peut être résolu de manière définitive et unique.
Pas de morale à cette histoire, mais la ferme intention de fournir aux lectrices et lecteurs des outils d’analyse mobilisables dans diverses situations sociales afin de réfléchir à des pistes d’actions.
[1] DELTA est le nom du personnage principal de l’histoire. Mais il est aussi le nom de plume des auteurs et autrices qui ont souhaité mettre l’accent sur la dimension collective de leur démarche et souligner l’importance des pratiques collectives dans la lutte contre les inégalités. Derrière Delta se trouvent sept enseignantes-chercheures (Emeline Beckmann, Alexandre Duchêne, Daniel Hofstetter, Sophie Korol, Stefanie Meier, Tibère Schweizer, Mariana Steiner) issues des sciences humaines et sociales et actives dans le champ de l’éducation.
[2] https://www.delta-atled.org/histoire
[3] Baptiste Cochard est graphiste, illustrateur, motion designer et collaborateur à la HEP|PH FR.