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Autonomie : de quoi parle-t-on ? : un mot piège pour des pratiques peu autonomisantes !

« Autonomie » est un mot courant du champ de l’éducation. Est-ce qu’il rime avec possibilité de choix ou avec conformisme ? Avec développement de l’esprit critique ou avec docilité ?

S’il est bien un terme que l’on retrouve dans presque tous les projets pédagogiques et/ou éducatifs des UAPE et des APEMS, c’est bien celui d’autonomie. Recouvrant plusieurs significations, il est défini pour une collectivité comme le « fait d’assumer et de vivre son particularisme, son individualité morale, culturelle » [1] et pour une personne comme « la faculté de se déterminer par soi-même, de choisir, d’agir librement » [2]. Certains pensent que les enfants sont devenus plus autonomes car on leur a notamment donné plus de droits. D’autres estiment au contraire qu’ils ont perdu en autonomie et en responsabilité, leur vie étant davantage contrôlée et institutionnalisée. Pour Alain Ehrenberg [3], convaincu de l’origine sociale des catégories, l’autonomie ne se conçoit pas de la même manière en Amérique ou en France même si ces deux pays sont des sociétés individualistes.

Sur le continent européen, on doit à Cléopâtre Montandon [4] une étude visant à une meilleure connaissance de l’expérience que les enfants genevois de 10-12 ans ont de l’autonomie ainsi que des conditions sociales qui la sous-tendent, c’est-à-dire de la façon dont les personnes qui s’occupent de l’enfant l’envisagent. Elle constate que les parents sont sensibles à son importance, ils encouragent souvent leurs enfants mais davantage sur le plan pratique qu’intellectuel, visant plutôt une future indépendance qu’un esprit critique. Les enseignants sont plus sensibles à la dimension intellectuelle mais eux aussi appliquent dans la pratique quotidienne un très grand contrôle dans la classe. Tous les enfants mentionnent la présence de règles et la possibilité de discuter dans certains cas. Leur ressenti varie selon leur sexe, la composition de leur famille ou l’appartenance de leurs parents. Ils ne pensent pas pouvoir développer leur autonomie à l’école même s’ils reconnaissent l’importance des savoirs. Ce sont les parents qui les aident le plus dans ce domaine. En dehors de l’école, les enfants connaissent de nouvelles formes de contraintes, leurs temps libre étant souvent cadré dans des activités extra scolaires, cours, sport, activités surveillées, etc. Comme leurs parents, ils ont une vision pragmatique de l’autonomie : acquérir de l’indépendance sur un plan concret. Ils se montrent lucides et pensent que, vu leur situation de dépendance, il vaut mieux faire ce qu’on attend d’eux. Leurs sentiments sont ambivalents, découlant d’une quête d’autonomie et d’une recherche de supports.

Hervé Glevarec [5] constate que les 8-12 ans se voient offrir une autonomie sans précédent, conséquence de leur accès à des mondes culturels (musique, vidéo, mode, magasines, etc.) et sociaux (smartphone, internet, etc.). L’autonomie signale ainsi leur capacité d’appropriation et d’expression dans la société. L’enjeu devient alors la participation culturelle et le devenir soi via les outils culturels.

Dans une autre recherche, Elisa Herman [6] a replacé la notion d’autonomie dans l’environnement de notre société de consommation en se basant sur des observations et en s’intéressant aux discours des animateurs, animatrices et directeurs de deux centres de loisirs de la banlieue parisienne. Plusieurs situations habituelles sont décrites comme favorisant l’autonomie : le repas à la cantine sous forme de self-service et le moment de rassemblement où tous les enfants réunis choisissent une activité parmi celles proposées et parfois préparées par les animateurs. Ce choix est alors considéré comme une forme d’autonomie, alors que l’enfant subit la « palette » des activités proposées par l’adulte. Ce choix se fait comme celui du consommateur invité à choisir parmi un ensemble d’objets celui qu’il va acheter. Ayant choisi « de plein gré » son activité, l’enfant est fortement encouragé à la poursuivre jusqu’au bout et « voit se refermer une sorte de piège pédagogique » [7]. Jugé responsable de sa décision, il doit alors l’assumer et montrer sa compétence d’autocontrôle.

Devenir un enfant autonome peut amener aux attitudes attendues d’un individu travailleur et consommateur, plutôt qu’à la constitution de soi en tant que sujet politique, se déterminant lui-même, capable d’exercer avec maturité ses droits et ses devoirs de citoyen. On assiste donc à un appauvrissement involontaire et impensé de la notion d’autonomie de l’individu. On observe l’importance du conformisme dans l’application de ce devoir « devenir soi-même » où l’expression de soi reste encadrée dans des choix imitant ceux de la société de consommation, sans les dépasser.

Alors comment mettre en pratique une autonomie dans une collectivité ? Pour dépasser le statut de consommateur, Elisa Herman suggère que l’enfant puisse proposer des activités, demander comment elles sont préparées, avoir la possibilité de s’exprimer spontanément sans lever la main comme à l’école, critiquer ce qui est proposé, etc. en un mot, ne pas être docile !

 

[1] TLFi : Trésor de la langue Française informatisé, ATILF – CNRS & Université de Lorraine

[2] Idem.

[3] Molénat, X. (2010), Entretien avec Alain Ehrenberg. France-Etats-Unis, deux conceptions de l’autonomie, In : Sciences Humaines, no 220

[4] Montandon, C. (2016), De l’étude de la socialisation des enfants à la socialisation de l’enfance : nécessité ou illusion épistémologique ?, In : Sirota, R., Éléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes, PUR

[5] Glevarec, H. (2010), Préados, la liberté… en chambre, In : Sciences Humaines, no 220

[6] Elisa Herman (2007), La notion d’autonomie et ses impensés dans la socialisation enfantine, In :  Mouvements, no 49

[7] Idem, p. 49.