Reconnaissons qu’il n’est pas facile de communiquer, de transmettre efficacement des informations, d’écouter activement, de s’exprimer clairement et d’interagir de manière constructive avec les autres. Ces capacités sont pourtant essentielles à la posture de tout·e professionnel·le et au cœur même du travail avec les enfants.
Communiquer, c’est à la fois exprimer sa perception de la réalité à l’autre, l’informer, l’influencer, et vouloir connaître sa perception pour la comprendre. Dans ce processus entrent en jeu les biais cognitifs, sortes de raccourcis de la pensée impliquant des distorsions dans le traitement d’une information, et susceptibles de fausser le raisonnement et le jugement. Utiles pour se simplifier la tâche mais conduisant souvent à des erreurs, ces biais (de confirmation, effet Pygmalion, étiquetage, etc.) sont inconscients et systématiques. Comme il sont inhérents à notre façon d’appréhender la réalité, il est important, après coup, de pouvoir les identifier pour interpréter au mieux les situations, car ils sont sources de malentendus et peuvent mener au conflit.
« Les relations humaines sont trop complexes pour que le conflit n’existe pas, chaque situation apporte son lot d’émotions et de tensions auxquelles il va falloir faire face. »
Nous pouvons dire que le conflit apparait quand deux personnes au moins sont arrivées à un tel point de désaccord que la recherche d’un terrain d’entente n’est plus envisageable pour l’une d’entre elles.
Lors d’un conflit, quatre paliers mènent à une coupure dans la relation : la critique, le mépris, la défense et l’impassibilité. Afin d’éviter la rupture de la relation, il convient aussi de repérer la source du désaccord, de le comprendre et d’identifier s’il s’agit d’un conflit de processus, de tâche, de relation, d’intérêt, d’identité, de valeur, de rôle ou de besoin.
Parallèlement, l’éducateur ou l’éducatrice devra accueillir le conflit et les émotions qu’il engendre. Lorsqu’un enfant est pris dans un conflit, l’écouter, l’aider à reconnaitre et nommer les émotions qui l’habitent ou l’envahissent est une étape nécessaire car la mise en mots permet de faire baisser la tension. Sans cette première étape, l’enfant restera dans l’incapacité d’écouter et de communiquer verbalement de façon plus apaisée.
Les émotions et les sentiments sont liés mais présentent des différences marquées. Les émotions sont des réponses primitives et automatiques qui déclenchent des changements physiologiques (cœur qui bat, transpiration, rougeurs, etc.). Elles sont passagères tandis que les sentiments sont plus durables et complexes. Ils constituent une interprétation consciente des émotions.
Notre culture nous invite peu à exprimer nos émotions, surtout celles qui sont jugées négatives (peur, colère, etc.). Il est pourtant essentiel de pouvoir les exprimer même dans un climat peu serein.
« L’idée de la “cocotte qui explose” peut être liée à la notion de catharsis, qui est la croyance que libérer ses émotions de manière intense, comme la colère, peut avoir un effet bénéfique. Cependant, les recherches en psychologie ont souvent démontré que cela ne fonctionne pas de manière aussi simple. En fait, laisser éclater sa colère peut parfois renforcer cette émotion au lieu de la dissiper. » (Chaves, p. 49)
Il est aussi important de comprendre que le développement de l’empathie qui implique de ressentir et de comprendre les émotions de l’autre n’est pas toujours à mettre au premier plan. En effet, dans certaines situations, se concentrer sur la compassion, qui se traduit par un désir d’aider et de soulager la souffrance de l’autre, peut-être plus bénéfique. Alors que l’empathie peut parfois mener à une surcharge émotionnelle, la compassion, elle, permet de maintenir une certaine distance tout en offrant du soutien.
Tout·e professionnel·le utilisant des stratégies, des outils de prévention et de gestion de conflits doit tenir compte à la fois des enjeux individuels et collectifs. Les attitudes éducatives font appel à différentes stratégies : imposition-directivité, évitement, compromis-négociation, accommodation, collaboration-non directivité. Chacune de ces stratégies est valable selon le contexte. La stratégie de collaboration et de non directivité permet de prendre connaissance de la perception de l’autre en essayant de comprendre sa vision. L’autre fait de même avec nous. Cela crée un climat de confiance qui devrait permettre de trouver un terrain d’entente. Cette logique gagnant-gagnant prend beaucoup de temps et demande de la créativité et de la patience.
S’il est difficile pour les enfants de gérer leurs émotions, les adultes ne sont pas en reste. Mais chez les enfants, leur inhibition n’est pas encore totalement développée. Il est nécessaire de les aider à comprendre ce qui leur arrive. L’une des méthodes consiste à décomposer les différents éléments de la situation, de dialoguer avec l’enfant en lui proposant de :
– décrire la situation : « peux-tu m’expliquer ce qui s’est passé ? »
– indiquer les comportements : « qu’est-ce que tu as fait, quels ont été tes gestes, tes paroles ? »
– réfléchir aux conséquences : « que s’est-il passé juste après, et ensuite ? Peux-tu expliquer ce qui a changé pour toi et pour les autres ? »
– discuter
Pouvoir utiliser des outils de médiation quand les enfants demandent de l’aide pour gérer un conflit entre eux. Encourager leur participation active en favorisant la compréhension mutuelle, sans imposer de solutions prématurées. Agir sur les causes du conflit plutôt que sur leurs conséquences. Un vaste chantier pour l’éducatrice ou l’éducateur au quotidien de son activité réfléchie.
« La clé de son action réside dans cette position modeste mais exigeante qui consiste à ne pas apporter immédiatement des solutions (ou pire, “nos” solutions), des outils et, plus généralement, des réponses qui donneront l’illusion de résoudre les problèmes sans l’implication des personnes concernées. » Chaves, p. 58
Les fondamentaux pour créer un espace de discussion au sein d’un groupes d’enfants ou entre deux personnes en conflits se traduisent en ces mots : confidentialité, accord, non-pouvoir et impartialité.
Participer à une résolution de situation conflictuelle est, comme tout acte éducatif, une façon d’accompagner modestement le travail que les enfants font eux-mêmes pour se construire.
Chaves, M. (2024), Communication et gestion des conflits, Cahier cemea n° 286